Motion de censure suite au 49.3 – Loi de programmation des finances publiques

Published by Marie Pochon on


LoiMacron : Le gouvernement prétend promouvoir le débat parlementaire puis impose le 49.3, bafouant la représentation nationale.” Franck Riester, 17 février 2015. 

13 novembre 2023, 8 ans plus tard. Le même Franck Riester déclare “par la présente lettre, sur le fondement de l’article 49.3 de la constitution, j’engage la responsabilité de mon gouvernement”. Mme Borne ne fait même plus l’effort de se déplacer devant les représentants de tous les Français, pour leur annoncer qu’elle ne tiendra pas compte de leur vote. 

Nous y voilà, donc, au 17e 49.3 en un peu plus d’un an. 

17. Soit un par mois. Ça en devient ridicule de faire comme si nos voix et celles que nous représentons ici comptaient réellement pour quelque chose dans la fabrique de la loi. 17. Ce n’est même plus une représentation théâtrale que nous jouons, mais une comédie pas bien drôle, un simulacre de vie démocratique dans la verticalité de la Ve République. 17, c’est le nombre de mois, exactement, que nous sommes élu-es ici. 17 mois que, comme certains de mes collègues, j’exerce mon premier mandat : 17 fois que l’on me somme de me taire, voire d’applaudir à vous voir arriver. 17, je ne sais pas s’il faut en rire ou en pleurer. 17, non ça n’est pas une comédie c’est un drame, un thriller dépourvu de tout suspens hitchcockien, un truc qui fout les jetons un mercredi soir – et, vous pouvez rire, chers collègues, trouver que le spectacle est divertissant mais notez, qu’au début de ce drame le personnage principal est mort, c’est la République. La République qui assoit des règles simples : des valeurs, des institutions et des pratiques ; que vous assumez tuer à petit feu. 

Le drame empire, chers collègues, parce qu’au 17e coup de minuit – oui, il y en a beaucoup dans cette histoire, et ça ne s’arrête pas – on a perdu plein de personnages. Pendant que les député-es doivent déserter les rangs pour dealer trois francs six sous derrière les portes closes des Ministères, ce sont de nouveau, je vous l’annonce là, le drame, des millions de français portés disparus. 17, heureusement, c’est aussi le numéro de la police, on va pouvoir lancer l’enquête, et j’espère arrêter les responsables. 

Aux urnes, plus personne, la solitude, l’individualisme et le repli sur soi prennent le pas sur les solidarités, la fête et l’espoir de vivre mieux. Ce sont les victimes de ce thriller que vous pensiez en huis clos dans cet hémicycle, Mme la Première Ministre, mais je suis au regret de vous annoncer que nous sommes filmés, que des millions de gens nous regardent, qu’ils entendent parler de ce que vous faites, de ceux que vous normalisez dans nos institutions et nos manifestations républicaines ; de ce que vous banalisez dans le piétinement de la représentation nationale. Tout cela, nul ne sait ce qu’il en adviendra.

Des millions de gens ont défilé dans les rues pour s’opposer, il y a quelques mois, à la réforme des retraites que vous avez passé en force ; 

Des millions de gens ont voté, parfois pour la première fois, lors des élections de juin 2022, parfois avec colère, parfois avec résignation, parfois avec grand espoir, et ils ne le feront plus, parce que vous leur enlevez leur voix pour des petits jeux politiques; 

Des millions de gens avaient exprimé leurs doléances, lors du Grand Débat National il y a exactement 5 ans, dans des courriers si sincères et si émouvants que ça aurait fait un peu tâche dans cette pratique du pouvoir “pragmatique et raisonnable” qui est la vôtre. Vous avez préféré les enfouir dans les archives départementales. 

Là sont ceux dont vous niez l’existence et que vous refusez d’écouter, Mme la Première Ministre. Et peut être bien que vous vous en fichez, mais ils emplissent nos permanences, nos agendas, nos boîtes aux lettres. 17, ce sont 17 coups de trop, et vous pourrez vous dire que j’exagère, mais je peux juste vous dire, sincèrement, honnêtement, que ce que vous êtes en train de faire, avec Monsieur le Président de la République, avec votre majorité toute relative – que vous feriez mieux d’analyser par ailleurs – c’est bien petit pour notre pays, pour la grandeur de notre histoire, la grandeur du vivant qu’il abrite et la grandeur des gens qui y vivent, et que vous l’abaisser à chaque coup à un niveau où je ne sais s’il saura s’en relever. 

4 ans, c’est long : mais les mains tendues à l’extrême droite, les reniements de valeurs, la verticalité de toute votre politique, l’austérité pour les petits et l’abondance pour les grands, les polémiques, des “atmosphères” djihadistes, aux “terroristes” écologistes que vous décrétez – oui, ce sont vos mots, oui, vous mélangez tout, et oui, c’est dangereux -, le mépris, le mépris, le mépris : de tout cela, nul ne sait ce qu’il en adviendra.

Au diable votre soi-disant pragmatisme et votre soi-disant raison

Est ce donc la raison qui vous pousse à entretenir une douce indifférence aux inégalités qui se creusent, à la grande pauvreté qui explose, aux enfants dormant à la rue, aux agriculteurs qui jettent l’éponge, aux travailleurs précaires, aux Français tombés sous le seuil de pauvreté en 2021, plus d’un demi million Madame la première ministre, autant que toute la population de mon département, la Drôme ?

Est-ce le pragmatisme qui vous incite à ignorer toutes les alertes scientifiques sur les investissements massifs, je dis bien massifs, qu’il nous faut opérer pour protéger le vivant ? Qui vous fait oublier, alors qu’on est fin 2023, de porter une loi de programmation des financements de la transition écologique, réclamée par tous les scientifiques face à l’urgence de l’effondrement écologique de notre monde ? 

Est ce le pragmatisme ou la raison qui dicte votre trajectoire financière, que je me permets de résumer ainsi :

  • l’austérité pour les petits : sur les services publics, l’hôpital, l’école, la gendarmerie, nos ruralités; 
  • et l’abondance pour les gros, avec 100 milliards d’euros de baisses d’impôts et de cotisations depuis 2018 pour les seules entreprises sans aucune conditionnalité; 

Est-ce le pragmatisme ou la raison qui vous conduit à l’asphyxie des collectivités locales, en premier lieu des petites communes? Qui vous fait accélérer la disparition des services publics, sous couvert de France Service portés à bouts de bras par les élus locaux et les associations ?

La promesse Républicaine, partout elle s’effrite, partout elle est délaissée : tout cela, nul ne sait ce qu’il en adviendra.

La colère qui s’exprime dans notre pays, ce n’est pas “un truc très français”. Elle a des racines très concrètes : dans l’abandon de territoires entiers, dans les logiques de marché qui plongent les gens dans des situations inextricables, dans la perte de sens que l’ordre ; l’ordre ; l’ordre veut venir combler ; dans des mobilisations méprisées, dans votre incapacité à respecter vos propres engagements écologiques. 

Madame la Première Ministre, de vos actes, de vos choix politiques, oui, vous-même, ne savez en réalité pas ce qu’il adviendra. Je peux juste vous dire qu’il aurait pu en être autrement, que la République, elle n’est jamais acquise, que c’est une conquête permanente : et qu’on pourrait faire tellement mieux, tellement mieux, pour en être à la hauteur. 

Car notre République, c’est la liberté. La liberté individuelle et collective de choisir ses représentants, la liberté de conscience, la liberté d’expression, la liberté d’information. La liberté, c’est aussi de pouvoir s’émanciper de ce que la société nous assigne, la liberté d’aller et venir, d’avoir accès aux soins, à la culture, à l’instruction, de pouvoir poursuivre le chemin que l’on s’est choisi, de pouvoir poursuivre ses rêves, qu’on vienne d’un petit village enclavé ou d’un quartier populaire. De pouvoir aimer, de pouvoir voyager, travailler, ou ne pas travailler peu importe, de pouvoir vivre dignement. De permettre à chaque enfant de la France, chaque jeune fille et chaque jeune garçon, de vivre libre. 

Notre République Madame la Première Ministre, c’est celle de l’égale dignité de toutes et tous. C’est chérir ce 3e pouvoir, celui de la justice, dont nous devons sacraliser l’indépendance parce que c’est elle qui garantit l’égalité de chacun, que vous soyez puissant ou misérable, devant la loi de la République. 

Il y a dans notre pays, des enfants qui n’ont pas les mêmes droits que les autres. Il y a, dans notre pays, des citoyens qui peinent à comprendre la promesse Républicaine, celle de Jaurès, de Blum, de Mendès France, parce qu’elle ne s’applique pas partout, et pour tous, de la même manière. 

Etre français, c’est ne jamais oublier ce cap de l’égalité, de tout faire pour que nos petits villages soient revitalisés, que bureaux de poste, centres des impôts, structures d’accès aux droits, aux transports, à la culture, à la santé soient garantis. C’est tout faire pour défendre les services publics, le patrimoine de ceux qui n’en n’ont pas. 

Notre République, Madame la Première Ministre, elle a une histoire. Et cette histoire, elle est profondément sociale : c’est celle de l’Etat Providence, de la redistribution, de la solidarité, de l’accueil inconditionnel, de la paix. 

On ne conçoit la grandeur de notre République qu’au sort qu’elle réserve aux plus démunis. On n’en conçoit la richesse qu’à l’engagement de millions d’hommes et de femmes, particulièrement là où l’Etat est le moins présent. C’est alors l’accès aux soins de proximité pour toutes et tous : la bataille pour que les françaises et les français qui vivent dans un petit village ne se voient pas retirer deux ans d’espérance de vie juste parce que VOS choix politiques ont fermé et fermeront les hôpitaux de proximité. 

Notre République, c’est chacun d’entre nous. Elle ne se conçoit jamais de manière verticale, par la volonté d’un seul homme, par la volonté de quelques-uns. Elle est un commun, que chacun d’entre nous écrit, que vous soyez puissant ou misérable, chaque nouvelle journée, au sein de cette bien vaste communauté qu’est la Nation qu’elle protège. La République n’exclut pas, elle ne réduit pas les humains en son sein : justement, sa grandeur est d’ouvrir, d’émanciper, d’être partagée. 

Notre République, Madame la Première Ministre, est bousculée à une vitesse folle. J’ai grandi dans une forme d’insouciance face à l’effondrement du vivant, et je sais que celle-ci habite encore nombre d’entre vous : pourtant, toutes et tous, nous sommes en train de traverser le plus grand défi auquel l’humanité n’ait jamais été confronté – la chute de la biodiversité et le cataclysme climatique. Madame la Première Ministre, la République du XXIe siècle, devra être une République Écologique, ou ne sera pas.

Cette République là, ça n’est pas un vieux texte constitutionnel, duquel on tire des “fondements” pour piétiner l’assemblée nationale et ce qui s’y exprime. Cette République là, c’est notre devoir que de la faire advenir, et nous sommes ici au moins 151 député-es, je dis bien au moins, pour la faire advenir. A cette République-là, vos choix, tous vos choix, s’y sont opposés.  

Alors, la République, c’est le droit de contester l’ordre des choses, quand il est franchement dans le désordre. Là est la plus grande des libertés, là est aussi, le plus vertigineux de nos devoirs. 

Aussi, sur le fondement de votre indifférence aux plus vulnérables et de l’explosion de la grande pauvreté ; sur le fondement de la brutalité de votre politique et de votre méthode; sur le fondement de votre capitulation écologique, et parce que vous avez fait le choix d’un peu plus abîmer nos institutions et cette si belle République, Madame la Première Ministre, au nom de l’ensemble du groupe écologiste, nous engagerons notre vote pour cette motion de censure. 


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