Discours d’ouverture des Universités des Ruralités Ecologistes
L’intégralité du texte de mon discours d’ouverture est à retrouver ci-dessous :
Bienvenue à toutes et tous !
C’est un moment très spécial pour moi, que d’ouvrir ces Universités. Quel plaisir d’être ici et de vous voir si nombreuses et nombreux à Die, dans cette vallée si particulière que celle de la Drôme.
La Drôme, ce sont des immenses alpages, entrecoupés de forêts de pins, qui habillent des montagnes et des falaises vertigineuses, que cassent des ruisseaux tumultueux ; c’est, à l’est, le plateau du Vercors, majestueux ; au sud, les villages provençaux des Baronnies et du Tricastin, perchés sur les hauteurs au milieu des champs de lavande.
C’est une terre façonnée par les activités agricoles. Ici, on vit depuis toujours du pastoralisme, au rythme de la transhumance. Là, vignes de clairette, de côtes du Rhône plus au nord, ou de côteaux de la Garde Adhémar au sud, dessinent les paysages, et les vallées, entrecoupés des rangs serrés de lavande et de lavandin.
Pourtant, ici aussi, tout change.
Nous sommes déjà à 1,4°C de réchauffement. Maladies, insectes nuisibles, fortes chaleurs, sécheresse : les lavandes cet été sont tout d’un coup devenues grisâtres. On n’a pas pu les récolter. Ces 10 dernières années, les récoltes de lavande ont diminué de 40% dans le coin. Il y a quelques années, un lavandiculteur de Grignan avait, aux côtés de 10 familles de tout le continent – et de Notre Affaire à Tous, une très belle association – attaqué l’Union Européenne pour manque d’action climatique. Ici, comme ailleurs, on n’a pas attendu la canicule de l’an dernier pour prendre conscience des changements climatiques. Dépérissement des forêts, baisse du niveau d’eau dans les rivières et les nappes, incendies massifs, comme par exemple pas loin d’ici à Romeyer, baisse des rendements agricoles, effondrement de la biodiversité : tout cela, on le vit, on le voit chaque jour.
Cet été encore, les Baronnies ont été en proie à des incendies de forêt vertigineux, les pluies diluviennes ont déferlé dans le Nord drôme, et des grêlons gros comme des balles de tennis ont tout détruit à Saillans et dans la vallée, pas si loin d’ici.
Mais les défis qui attendent nos territoires se multiplient, au-delà de ce changement de monde auquel nous faisons face.
Dans la Drôme, l’immobilier et le foncier explosent, les prix s’envolent, ne permettant plus aux enfants du pays de s’installer. Ce sont les départs des services publics, des bureaux de poste aux centres des impôts, qui doucement, migrent vers Romans, Valence ou Montélimar, maigrement remplacés par des agences France Services tenues souvent à bout de bras par des acteurs associatifs et des élu-es locaux. Ce sont les médecins qui manquent, et cette promesse Républicaine de l’accès aux soins pour tous qui faillit durablement, et je le dis encore plus fermement ici à Die, où la maternité a fermé il y a 6 ans, laissant une trace indélébile sur le territoire. Ce sont des déplacements qu’on ne fait plus, la faute à une bagnole qu’on “adore” pas, non, tant on en est dépendant par ici, et qui nous coûte bien trop cher à l’heure du carburant à 2 euros le litre. Ce sont ces chiffres effroyables, cette réalité qui nous éclate à la figure, celle qui veut que 50% des féminicides ont lieu sur nos territoires, alors que seulement ⅓ de la population y vit. C’est le défi vertigineux, de la cohabitation entre les activités humaines qui ont tant façonné nos paysages, avec la vie sauvage, avec le retour du loup.
Sur tous ces immenses défis, je suis convaincue que l’écologie est la meilleure alliée des ruralités. Ca peut paraître un peu antinomique, tant les insultes pleuvent. Les écologistes étaient, avant, des lanceurs d’alerte, ils sont, après, devenus des adversaires politiques, et maintenant, nous sommes des boucs émissaires. Les postures se veulent dures face à des écolo-bobo-donneurs de leçons qui ne connaîtraient rien au “bon sens paysan” qui habite les campagnes de France. Certains voudraient les enfermer, ces campagnes, dans une sorte de “vraie France”, immuables, conservatrices, version “chasse, pêche, nature et traditions”, des campagnes où rien ne devrait changer, où rien n’aurait jamais changé. En oubliant leur histoire : car souvent, ces terres sont marquées par l’héritage de celles et ceux qui ont œuvrés successivement pour la République sociale et la Résistance, elles ont été à l’avant-garde des grandes transformations de notre pays. Et on voudrait en faire des territoires perdus pour la gauche et l’écologie.
Pourtant, les choses changent. Ici, sur les terres d’Hervé Mariton, sur une des plus vieilles centrale nucléaire du pays – celle du Tricastin -, j’ai été élue députée écologiste – NUPES.
1 an après, je suis très fière de vous accueillir ici dans la Drôme. Je voudrais remercier toutes celles et ceux qui sont venus de l’autre bout de la France et qui ont parcouru des centaines de kilomètres avant d’arriver dans la Drôme, dans notre belle vallée : vous verrez, ici on mange bien, on sait faire la fête, on sait accueillir, et on a plein d’idées que vous pourrez essaimer ensuite partout dans le pays.
Merci à la ville de Die pour son accueil, merci Isabelle de ta confiance. Merci à Alain et à la communauté de communes du Diois, merci à Marie-Pierre Monier, infatigable sénatrice socialiste de la Drôme, une formidable et inspirante alliée dans les combats pour les ruralités. Merci Marine, de nous avoir fait confiance, au nom d’EELV – bientôt Les Ecologistes ! – dans l’organisation de cet événement. Merci Ali et Margot pour leur engagement à porter un événement d’une telle ampleur en Rhône-Alpes. Un immense merci à toutes les personnes qui ont participé à l’organisation de cette première édition des Universités des ruralités écologistes, du groupe de travail en interne que nous avons initié il y a un an avec François, Julia, Grégoire, Guillaume, Magali et tant d’autres, qui ont fait naître cette idée un peu folle qui aujourd’hui se concrétise. Merci à la détermination de mon équipe, Clothilde, Lucas, Nathan et Manon ; de celle d’EELV Rhône-Alpes, Louise, Manon et Caroline ; des bénévoles de Die Olivier, Hélène et toutes celles et ceux que vous verrez à l’entrée des ateliers, au bar, à la logistique, aux commandes des navettes, sans qui rien n’aurait été possible. Merci également, à tous nos partenaires qui donnent un sens particulier à cet événement : Merci à Régions & Peuples Solidaires, la FEVE, Géneration.s, à la Fondation de l’écologie politique, à la délégation écologiste au Parlement européen. On est ici en territoire occitan, et vous savez qu’on est attachés au fédéralisme et aux identités régionales, chez les écologistes, aussi benvenguda a Die !
Nous nous trouvons ici en plein cœur de ces 88% de France que nous appelons “territoires ruraux”, le seul espace géographique à n’être défini que par ce qu’il n’est pas. Selon l’INSEE, les territoires ruraux c’est… ce qui n’est pas la ville. Alors forcément : on se sent un peu mis de côté, et c’est un peu compliqué de se dire pour celles et ceux qui y vivent que nous comptons autant que ceux qui habitent les villes, au cœur de la République.
Et ça, c’est dramatique, on ne le sait que trop bien. Pourtant, nous ne demandons pas l’aumône !
Mais on a l’impression d’une France à 2 vitesses. Sur les mobilités : tandis que dans les métropoles nos concitoyens ont le choix du vélo, de la marche, des transports en commun, tandis que 35 milliards d’euros seront investis dans le Grand Paris Express, c’est aujourd’hui seulement 30 millions – un peu plus d’1 euro par an par habitant, qui sont consacrés dans le plan France Ruralités à la mobilité dans les campagnes, laissant la gestion d’un service public absolument essentiel… à des associations de bénévoles.
La planification écologique laisse, encore une fois, les territoires ruraux sur le palier : logements et terrains hors de prix, fracture numérique, manque d’aide à l’installation paysanne, de solutions aussi pour oeuvrer à la préservation de la biodiversité et de nos forêts, de solutions pour un tourisme durable : nous en avons marre de vivre sous cloche, ou d’être misérabilisés. Nous voulons des politiques climatiques et écologiques ambitieuses pour les ruralités, tout aussi ambitieuses que pour les villes !
Ce doit être aujourd’hui cela le discours des écologistes.
En ville, comme à la campagne. Car l’écologie n’a de sens que parce qu’elle est pour toutes et tous.
Et on peut se le dire : dans nos récits, dans nos incarnations collectives, on s’est aussi piégés dans la facilité, parfois, de ne parler qu’aux CSP+ des grands centres urbains. Nous n’avons pas assez forcé les portes, ni mis la même énergie, pour faire entendre les voix et les vies qui se nouaient sur ces territoires, où ⅓ de la population vit. D’autres l’analysent, sans doute mieux que moi, et on aura l’honneur de les entendre tout au long de ce week-end – et je remercie au passage les chercheurs et sociologues qui mènent ce travail essentiel, pour mieux comprendre les failles, et s’en relever.
Ce constat est une première pierre à l’édifice que nous devons construire pour partir à la reconquête de nos villages. Tout l’enjeu est de nous poser la question de l’incarnation de l’écologie politique et de ce qu’elle véhicule. Quand on entend écologie politique aujourd’hui, on entend tout ce qui se construit de formidable dans les grandes villes écologistes où nous avons des élu-es, et merci à elles et eux de changer si bien la vie de millions de personnes là où ils et elles exercent leurs responsabilités. Mais le revers de la médaille c’est que la visibilité des territoires ruraux reste faible, dans toutes les sphères de pouvoir, médiatiques et institutionnelles. Cela profite, bien évidemment, à toutes les postures électoralistes. Il y a ceux qui laissent seuls les maires ruraux face à l’appétit des bétonneurs, et qui derrière les grands discours dans les salons, se fichent bien de condamner l’agriculture à l’horizon 2050. Il y a ceux qui n’ont pas conduit de voiture ou fait un plein depuis 15 ans et qui, par démagogie, disent adorer la bagnole. Il y a ceux qui disent défendre les pauvres gens, qui ne sont plus là quand il s’agit de réguler l’installation médicale ou d’augmenter le salaire minimum.
Je suis profondément convaincue que nous sommes, hier et aujourd’hui, les premiers défenseurs des ruralités. Parce que ça fait 50 ans qu’on l’a dans notre ADN. “Vivre et travailler au pays” : c’est le slogan du Larzac, et ça, on ne nous l’enlèvera pas.
Loin des discours misérabilistes, de ceux qui dépeignent une ruralité pauvre, à l’abandon, nous, Écologistes, le disons haut et fort : ces territoires n’ont pas besoin d’être sauvés. Ils ont besoin que leurs initiatives soient soutenues, entendues, considérées. Car c’est dans ces territoires que se joue notre avenir, celui de notre pays. Nous le savons trop bien.
Il y a donc une bataille à mener.
Et la bataille sera rude.
Mais nous n’avons pas le droit de la laisser tomber, de tomber dans la facilité et le confort de se dire qu’on fera sans, parce que ce serait un peu trop compliqué. Oui, le défi est difficile, nous le savons. Se battre pour un autre modèle agricole, c’est affronter les géants de l’agro-business, qui ont pu sortir tant d’agriculteurs de la pauvreté il y a des dizaines d’années, mais qui aujourd’hui détruisent les conditions même de leur existence. Se battre pour la protection de la biodiversité et le mieux-vivre dans nos villages, c’est faire face aux lobbies du BTP qui ont monté tout leur business model sur le clientélisme et la bétonisation des périphéries urbaines, des parkings, des zones commerciales et pavillonnaires sur des hectares de terres naturelles ou agricoles. Se battre pour l’égalité des droits, c’est se battre contre une logique de métropolisation, de centralisation et d’aménagement du territoire qui ont gouverné ce pays depuis 50 ans, pour faire revenir les services publics, les commerces de proximité, rouvrir les classes, réinstaller des médecins, rénover les centre-bourgs, bâtir des habitats collectifs, faire vivre les liens intergénérationnels.
Nous n’avons pas le droit de ne pas mener ces batailles, et je nous sais prêts à le faire.
Notre mouvement regorge de mesures concrètes, qui changent la vie et remettent les campagnes au centre des politiques publiques. Le terreau est là, incroyable : c’est ici que naissent des initiatives d’agro-écologie, c’est ici que se tissent les solidarités informelles, les groupes whatsapp de covoiturage, les maisons d’accueil de celles et ceux qui cherchent l’asile, les racines de la sécurité sociale de l’alimentation, la gestion de l’eau, collective et concertée. C’est aussi ici, comme ailleurs, que les gilets jaunes se sont constitués, répondant à des mesures injustes venues de technos parisiens. Ils ont écrit des millions de pages de doléances, avec autant de pistes pour la justice environnementale, la réduction de la fracture territoriale, le renouveau démocratique, que le gouvernement se sera empressé d’enfouir dans les archives départementales. C’est enfin à Marmande, Vierzon, Saint-Marcellin, Issoire, Nyons, Belley, Pontarlier, Vesoul, toutes ces petites villes et sous-préfectures, que des milliers de personnes ont défilé, dans cette France habituellement silencieuse, nos ruralités, contre la réforme des retraites. Fermetures de maternités, de services publics : partout dans le pays, encore aujourd’hui, c’est dans les fameux territoires de sous-préfecture que les révoltes se nouent.
Alors, faisons de la politique pour de vrai, de la belle politique, celle qui est rugueuse car difficile, celle qui pose les vrais débats de société, sur un état de droit qui serait différent pour quelques factieux tenants de l’agro-business contre celles et ceux qui cherchent sincèrement sur leurs fermes à faire de leur mieux, sur un féminisme qui ne se limiterait qu’à la condition des femmes dans les grandes villes, sur la numérisation qui laisserait nos aînés de côté, sur le rôle des petites communes – il y en a trop entend-t-on – dans le maintien du vivre ensemble et de la République partout ; sur la transformation écologique qui ne peut venir d’en haut, mais qui doit émerger d’en bas, en accompagnant les plus vulnérables, avec toute la complexité et les spécificités que cela implique.
Ce matin, dans un quotidien national, je lisais l’interview du président du groupe écologiste du Sénat, Guillaume Gontard, qui nous fait l’honneur d’être présent aujourd’hui, et ancien maire du Percy, dans le Trièves. On lui disait, le jour où il a déclaré sa candidature aux sénatoriales : «Va leur dire à Paris qu’ici c’est le Percy et qu’on veut de l’utopie, et attention, va pas prendre la grosse tête !».
On veut de l’utopie : je crois que ces mots résonnent très justement pour ce qui se noue ici et ailleurs. A nous de la bâtir.
Vous avez sans doute déjà dû entendre parler de cette corrélation entre la disparition de lieux d’échanges dans les villages – un tabac, un café – et la montée du vote RN. De plus en plus, ici comme ailleurs, on manque de lieux où l’on se croise, de lieux pour se retrouver, discuter, réfléchir, inventer demain, parfois simplement connaître ses voisins, ensemble, toutes générations confondues.
Ce weekend, c’est un peu un immense café de village qu’on vous propose. Avec plus de 20 ateliers, une centaine d’intervenant-es, trois plénières, des visites de terrain, des canapés autour de personnalités politiques et scientifiques de renom : ce week-end est une première, qui nous permettra, qui vous permettra, je l’espère, d’œuvrer partout sur le territoire français.
Avant de terminer, je voulais dire un mot des jeunes ruraux, qui ne se voient pas offrir les opportunités à la hauteur de leurs aspirations. Je le dis, en tant qu’une des seules de mon village drômois a avoir pu poursuivre une licence, et jamais j’aurais pu imaginer en devenir la députée, tant j’étais loin de ces grandes écoles et de ces codes. Les jeunes des territoires ruraux n’ont pas les mêmes chances que les urbains : accès à l’éducation supérieure, mobilité, accès à la culture, sentiment d’infériorité… Pourtant cette jeunesse, qui ne se reconnaît pas toujours dans cette “génération climat” qui a déferlé dans les rues des grandes villes, rêve aussi d’un autre avenir et est attachée à son territoire. Comment accompagner “ceux qui restent” pour former les futurs leaders de demain ? Alors que la semaine prochaine, nous ouvrirons, avec les Écologistes, une nouvelle page de notre histoire, notre devoir est de ne pas les oublier.
Construire les ponts, réconcilier, bâtir ensemble, sortir des postures, dialoguer : le défi est immense, mais ce n’est pas le genre de trucs qui nous fait peur. Car on ira ensemble. Avec toutes celles et ceux qui sont déjà engagé-es dans ce chemin : car on mérite mieux que des discours réducteurs, des postures, des solutions faciles qui nous mènent droit dans le mur.
Nous sommes l’avenir, et nous sommes l’avant-pays.
Je vous remercie pour tout votre travail acharné, à toutes celles et ceux qui ces derniers mois, un peu partout dans la pays, ont organisé des événements pour débattre et échanger sur l’écologie rurale, dans des villages du Tarn, de Loire-Atlantique, du Doubs, ou encore des Hautes-Alpes. Merci une nouvelle fois à toutes les personnes qui ont participé à faire de cet événement un événement majeur de la rentrée politique. Enfin, mille merci aux régionalistes, aux écologistes, aux progressistes, aux campagnards, aux ruraux, aux pecnos, aux ploucs, qui agissent au quotidien dans tout le pays, malgré les brimades, le mépris, les menaces, et qui font honneur au combat que nous portons pour la justice territoriale et environnementale et l’habitabilité de notre monde.
Bonnes Universités des Ruralités Écologistes à toutes et tous !
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