“L’@INRAE_France se permet tout! Urgence à remettre cette agence sous contrôle politique.”
« Trop dans la théorie, pas assez dans la pratique. »
« L’Inrae est devenu une ONG où des militants ont remplacé les scientifiques »
Ces expressions, elles ne sont pas de moi, mais de Damien Greffin, vice président de la FNSEA, Laurent Wauquiez, président de groupe ou président de région on ne sait plus, mais en tout cas fin gourmet, ou encore, Jean Baptiste Moreau, ancien député Renaissance. Si je vous les cite en introduction, ce n’est pas tant pour vous rappeler cette fameuse saint valentin ou l’INRAE a osé, sur twitter, rappeler l’importance du moins mais mieux de viande, et de la végétalisation des assiettes.
Je les cite parce qu’elles disent moins du débat scientifique sur les transitions agricoles et agronomiques qu’il nous faut conduire, que de l’état du débat public et politique sur celui-ci ; elles disent moins des travaux d’immense qualité et d’immense importance que mènent vos équipes, et je les en remercie; que de l’incurie d’une classe politique et dirigeante méprisante pour la science dès lors que celle-ci affecte une posture électoraliste et réactionnaire.
Elle disent, Monsieur Mauguin, qu’il vous faudra être vigilant, dans ce nouveau mandat qui va peut être s’ouvrir pour vous, à l’indépendance de votre agence, aux apports scientifiques que vous apportez à la décision politique, au rôle de contre-pouvoir de la science.
Un contre pouvoir et une indépendance nécessaires, face à de puissantes forces d’intérêt qui préfèrent nier la science, des fondamentaux économiques et même la santé humaine pour promouvoir l’importation et la dépendance aux phytosanitaires, le recours à la technique comme solution magique à l’effondrement du vivant et aux changements climatiques. Vous le dites, vous le démontrez, vous l’expérimentez sur le terrain, vous le prouvez : il est possible d’atteindre le zéro pesticide, d’atteindre ainsi la souveraineté alimentaire, et de baisser les émissions de gaz à effet de serre du secteur, cela nécessitera “des politiques publiques cohérentes et articulées”, une transformation de la PAC et un “soutien à la transition” : tout le contraire des orientations budgétaires de ce gouvernement, mais passons.
Ce contre pouvoir, il est nécessaire pour l’avenir de l’élevage, pour celui de nos forêts, de la préservation du cycle de l’eau, mais pas que. Aussi, Monsieur Mauguin, je me permets de vous poser cette première question : pourquoi votre institut n’a-t-il pas réagi publiquement au changement d’indicateur Ecophyto, alors même que les scientifiques de l’INRAE ont historiquement participé à la co-construction de l’indicateur NODU ?
Monsieur Mauguin, et parce que nous devrons nous prononcer sur votre nomination à la fin de cette commission, qu’avez vous à répondre à ceux qui réclament l’urgence à remettre cette agence sous contrôle politique et que mettrez vous en place pour absolument ne jamais y donner suite ?
A côté de vos travaux sur l’agro-écologie, la restauration des écosystèmes et le moindre usage des pesticides, vous développez conjointement des recherches autour de “la science des données et les technologies du numérique au service des transitions”.
L’INRAE fait un travail incroyable pour montrer la possibilité d’avoir des agriculteurs et agricultrices nombreux, de l’autonomie sur les fermes, des revenus dignes et une alimentation saine; démontant les mythes d’une agroécologie moins performante économiquement que le conventionnel, démontrant les coûts sociétaux, environnementaux, économiques et sanitaires de l’agriculture industrialisée.
⁃ Dénoncer le « en même temps » de l’INRAE, qui d’un côté, mène des recherches pour favoriser l’agriculture biologique, l’agro-écologie, une alimentation plus saine et la restauration des écosystèmes, et de l’autre côté, continue ses travaux de recherche sur les développements technologiques, numériques etc.
⁃ Évoquer l’indépendance de la recherche et le positionnement de l’INRAE en tant que contre pouvoir. Il m’a cité l’exemple du changement d’indice du calcul des phytos en début d’année, annonce sur laquelle l’INRAE ne s’est pas exprimée.
– Autre exemple : quand le lobby de la viande se plaint du tweet de l’INRAE qui disait de manger moins de viande, le tweet est supprimé.
La crise agricole du début d’année 2024 nous a rappelé combien il est important de redéfinir collectivement notre modèle agricole. Bien sûr, le manque de revenus, l’effondrement de la biodiversité, les impacts croissants des dérèglements climatiques sont loin d’être nouveaux. Mais, alors que la nécessité de se tourner vers l’agroécologie ne fait plus débat d’un point de vue environnemental et climatique, les avancées pour s’engager dans la transition sont régulièrement freinées au motif que l’agroécologie serait moins performante économiquement.
On continue donc de louer l’agriculture industrielle alors que sa performance économique est bien, elle, une illusion, et nous le savons. Elle représente un coût faramineux pour la société : les rendements élevés de ce modèle agricole résultent d’un usage massif d’intrants chimiques et de pesticides, pour assurer une production sur des surfaces plus grandes par actif et atténuer, entre autres, les effets du dérèglement climatique, de la perte de fertilité des sols, de la diminution des pollinisateurs et autres insectes auxiliaires, ce qui a conduit notre pays, la France, à augmenter son usage des pesticides 25% entre 2000-2011 et 2016-2018.
Votre institut l’établit clairement dans son rapport prospectif sur le sujet : il est possible d’atteindre le zéro pesticide, et de baisser les émissions de gaz à effet de serre agricole, mais cela nécessite “des politiques publiques cohérentes et articulées” et notamment une transformation de la PAC et un “soutien à la transition”. Cela serait donc bénéfique pour les agricultrices et les agriculteurs, et pour les consommateurs, pour leur donner accès à des produits de qualité, sains, et vertueux sur le plan environnemental soient accessibles à chacun et chacune, quels que soient ses moyens.
Vos travaux, ceux des chercheurs de l’INRAE, sont donc essentiels pour interroger le fonctionnement de notre modèle agricole, sa viabilité économique, et comprendre ce qu’il nous faut soutenir pour permettre à notre pays d’avoir des agriculteurs et agricultrices nombreux, de l’autonomie sur les fermes, des revenus dignes et une alimentation saine. Or, à côté de vos travaux sur l’agriculture biologique, l’agro-écologie, une alimentation plus saine, la restauration des écosystèmes et le moindre usage des pesticides, vous developpez conjointement des recherches autour de “la science des données et les technologies du numérique au service des transitions”. Or, les résultats des études sur l’agroécologie semblent particulièrement éloignés d’un besoin de solutions technologiques, de la robotique, la génétique, le numérique, solutions souvent prônées pour produire toujours plus, sans prise en compte des limites planétaires. Mais produire comment ? Pour qui ? Pour quoi ? Pour d’un côté exporter à l’autre bout de la planète, en détruisant les paysanneries locales et de l’autre importer avec les conséquences que l’on connaît sur les agriculteurs et agricultrices français et notre alimentation ? Monsieur Mauguin, j’en viens donc à ma première question : comment arriver à concilier, dans un même institut, deux axes de recherche qui semblent si fondamentalement opposés dans leur manière de concevoir la souveraineté alimentaire ?
Marie Pochon