Des 200 000 cafés et bistrots qui animaient nos villages dans les années 60, il en reste aujourd’hui tout au plus aujourd’hui 39 000. Non pas qu’il n’y ait plus personne dans nos campagnes : ⅓ de la population y vit, dans ces 88% de France.
Mais souvent, les logements s’éloignant du travail, le développement de la voiture individuelle aidant, nombre de nos petites communes ont vu leurs derniers commerces fermer leurs portes. Par chez moi, mais dans pleins de coins de France aussi, on passe de plus en plus de temps dans nos voitures, pour aller au travail, faire les courses, chez le médecin, et de moins en moins de temps avec nos voisins ; les centres bourgs de nos villages se désertifient pour laisser la place à des panneaux offrant des lots de lotissements entrecoupées de grandes clôtures entre chaque maison, et de vastes zones commerciales à l’entrée des agglomérations.
“Un village ne se différencie de la ville que parce que celle-ci a des remparts” disait on en Alsace, paraît il. Mais les remparts, ils se dressent ici aussi, dans nos villages, et il y aurait tant à discuter de tous ces bouleversements qui ont, en quelques années seulement, totalement modifié nos modes de vie et nos paysages.
Beaucoup d’éléments ont participé à ces bouleversements ; et l’un d’entre eux est sans nulle doute la difficulté à ouvrir, et maintenir, des lieux de sociabilité et de vie dans nos communes rurales.
Cette proposition de loi que vous nous proposez d’adopter, Monsieur le rapporteur, le prend, cet enjeu, sous le plus petit bout possible, au travers de cette proposition de loi : celui de l’attribution des Licences IV, ces autorisations à servir des alcools forts des groupes 4 et 5, pour les communes rurales.
Au-delà d’espaces de consommation, ce sont des espaces de vie, de rencontres, d’échanges, des points de ralliement où les liens se tissent, où la solidarité s’organise. De plus en plus, on manque de lieux où l’on se croise, de lieux pour se retrouver, discuter, réfléchir, inventer demain, parfois simplement connaître ses voisins, ensemble, toutes générations confondues. Lorsque ces lieux disparaissent, c’est un peu de notre tissu social qui s’étiole.
Alors oui, chers collègues, il est effectivement temps d’accompagner les projets qui, à petite échelle, à l’heure du chacun pour soi et de l’individualisme, même dans nos villages, permettent de lutter contre l’isolement et de revitaliser nos centre bourgs.
Mais cela doit se faire impérativement à deux conditions :
- celle d’assurer que ce transfert de licences ne puisse se faire qu’au bénéfice des villages, et pas à absolument n’importe qui, comme il est prévu pour l’instant ;
- et celle d’une politique de santé publique cohérente et ambitieuse, même dans nos villages, en évaluant les impacts et les risques éventuels d’une telle réglementation; car pour l’instant, d’évaluation, nous n’en avons aucune, malgré la dérogation qui court déjà depuis 2019.
Chers collègues, les réglementations existantes en matière d’attribution de licences IV ne sont pas là pour faire joli. Elles sont une prérogative indispensable en matière de santé publique. J’ai entendu tous les arguments en commission, de nos collègues qui organisent des permanences parlementaires dans des cafés de leur circonscription, en servant à chacun des participants des alcools forts ; j’ai lu les amendements déposés visant à assouplir les règles en matière de vente d’alcool et de prévention des alcoolisations excessives.
Ces propos m’alertent, car toutes les études le démontrent : l’augmentation du nombre de débits de boisson entraîne une hausse de la consommation d’alcool.
Venant d’un petit village et étant députée d’une circonscription de 240 communes, ces propos m’alertent, tant les accidents de la route, les violences intra-familiales explosent dans mon département comme dans les vôtres. Ces propos m’alertent, car l’addiction à l’alcool et notamment aux alcools forts est par chez nous plus difficile à identifier et à accompagner en raison du manque de structures adaptées et de l’éloignement des professionnels de santé.
Ces propos m’alertent, car malgré le fait que l’alcool est la première cause d’hospitalisation et dont nous comptons les 134 morts par jour dans notre pays, ce serait considérer qu’on n’aurait qu’à servir à boire aux péquenauds, aux rustres de nos campagnes et que ça suffirait, ils nous laisseraient tranquilles déliter tout le reste.
Tout le reste, que vos politiques ultra-libérales délitent :
- c’est la permanence des soins qu’on ne voit pas advenir, les 100 médico-bus promis pour fin 2024 qui se sont transformé en 16 finalement avec une infime minorité qui roule réellement;
- Ce sont les trajets qu’on a bien que la voiture individuelle pour faire, parce qu’il ne viendrait à l’idée de personne que nous ruraux, on pourrait vouloir avoir le choix, ou bien ne pas payer un rein des réparations ou du carburant pour se déplacer ;
- Ce sont les classes qui ferment dans nos villages,
- Les boulots qu’on trouve pas, les logements hors de prix, les services publics qui s’en vont …
Et non, Monsieur le Rapporteur, chers collègues, ça passera pas même après plusieurs gorgées, tout cela. Oui, il est plus que temps de détruire les remparts qui abîment le lien social et la vitalité de nos villages : mais j’espère sincèrement qu’en 2025 on sait que la convivialité et le lien social ne dépendent pas de la présence de débits de boissons de + de 18% d’alcool, car c’est bien de cela dont il s’agit, mais bien d’activités culturelles, associatives, artisanales, de cafés associatifs et de loisirs, de services publics, de logements occupés, d’écoles ouvertes, de champs cultivés par des paysans nombreux et qui en vivent dignement.
Cette proposition de loi, nous ne la voterons donc qu’avec ces amendements : sinon, elle ne sera qu’un manège de plus pour faire semblant de se préoccuper des habitants de nos villages.
Chers collègues, au delà de cette proposition de loi ; il nous faudra aussi, demain, aller plus loin, vers une réelle politique de revitalisation de nos villages, dans ces 88% de France où les politiques de mobilités, de logement, d’accès aux soins ou encore aux services publics de proximité sont encore bien trop souvent bien trop limitées face aux grands bouleversements que l’on a bien trop souvent, par chez nous, l’impression de subir, plutôt que de mener.
Marie Pochon