“Nous avons fait en un mois, ce qu’on fait d’habitude en trois ans”. Voilà ce qu’a déclaré le Ministre Marc Fesneau le 26 mars au moment d’entériner la révision de la PAC. Il aura donc fallu un petit mois aux différents Ministres de l’Agriculture européens pour s’accorder sur un détricotage du peu de mesures environnementales de la Politique Agricole Commune. Un mois pour sacrifier la capacité de nos agriculteurs à produire demain. Un mois pour sacrifier notre capacité à s’adapter aux conséquences croissantes des dérèglements climatiques. Alors que la majorité des agriculteurs estiment que la transition écologique est une nécessité, ils le savent bien, eux qui naviguent désormais à vue entre sécheresses, records de chaleur, floraisons avancées, pluies torrentielles… Le mois de mars a été le 26ème mois de suite supérieur aux normes de températures, doublant l’ancien record.
Puisqu’il est possible, pour votre ministère, de déplacer des montagnes quand le sujet vous semble digne d’intérêt, pourquoi la même énergie et volonté, n’ont-elles pas été déployées pour apporter une réponse à l’enjeu des revenus agricoles ? Pourquoi, après les plus grandes mobilisations agricoles qu’ont connues notre pays, et notre continent, ces 30 dernières années, n’a-t-on entendu que reculs environnementaux et quelques mesures de trésorerie ?
Partout dans le pays, les agriculteurs et agricultrices, parfois au prix de leur vie, ont bloqué les routes de France avec un slogan si révélateur “Agriculteur : enfant, on en rêve ; adulte on en crève”. Le constat est aussi simple qu’implacable : beaucoup trop d’agriculteurs ne peuvent vivre aujourd’hui de leur travail.
Nous, écologistes, n’avons qu’un seul jour par an pour proposer des textes à cette Assemblée. Nous avons décidé, et je remercie ici le groupe écologiste pour cela, de le consacrer à tenter de déplacer cette montagne là, au travers de cette proposition pour des prix rémunérateurs.
Parce que oui, elle est digne d’intérêt, et nous essaierons, je n’espère pas vainement, de vous en convaincre. Mais elle est plus que ça : elle est fondamentale et centrale pour les débats sur la “souveraineté alimentaire”, et sur le renouvellement des générations agricoles quand 200 000 agriculteurs, la moitié d’entre eux, seront en âge de partir à la retraite d’ici 2030. Comment s’installer quand on a une chance sur 5 de devoir vivre en dessous du seuil de pauvreté ?
Fondamentale et centrale également, pour la transition écologique, que l’effondrement des oiseaux, des insectes, que les changements climatiques nous commandent d’opérer. Comment assurer les conditions de pouvoir cultiver, produire, et nourrir les gens demain sans pouvoir assurer un revenu à ceux qui le font ?
Fondamentale et centrale, enfin, pour la vie dans nos territoires.
Vous comme moi, vous vous rendez dans des communes où il ne reste parfois qu’un ou deux agriculteurs, alors qu’elles en comptaient 10 ou 15 dans les années 90. Les fermes disparaissent, avalées par l’agrandissement et la dette, et ce n’est pas seulement le monde agricole qui se meurt, mais le monde rural. Nos villages qui se vident, les classes qui ferment, le bureau de poste qui s’éloigne. Comment redonner vie et espoir à nos villages ?
C’est à ces questions que nous avons souhaité répondre, de manière structurelle et précise, car oui la colère et la détresse demeurent, et ce que Monsieur le ministre de l’Agriculture “a fait en un mois” n’y a pas répondu.
L’article 1er de cette proposition de loi vise donc à protéger le revenu des agriculteurs en confiant aux conférences publiques de filière le soin de déterminer par le dialogue un prix minimal d’achat des produits agricoles qui ne puisse être inférieur aux coûts de production dans chaque filière en prenant en compte la nécessité de dégager un revenu d’au moins 2 SMIC.
C’est une petite révolution que l’intégration obligatoire d’un revenu digne dans la constitution de ces prix. C’est une considération nouvelle, inscrivant dans la loi le principe selon lequel les fruits du travail agricole méritent non pas subvention, mais juste rémunération.
Il y a un mois, le Président de la République l’affirmait : “Il y aura un prix minimum, un prix plancher en dessous duquel le transformateur ne peut pas acheter et en dessous duquel le distributeur ne peut pas vendre”.
Ces prix rémunérateurs garantiront à nos agriculteurs qu’ils n’auront plus à brader le fruit de leur travail en dessous de leur coût de revient. Ils sont un filet de sécurité apportant visibilité et stabilité aux agriculteurs dans un contexte qui associe une forte volatilité des prix des produits agricoles à un déséquilibre accru du rapport de forces dans les négociations commerciales.
Ils répondent, également, désormais, à une promesse du chef de l’Etat. Et oui, qu’on en soit heureux ou pas, et ça m’arrive souvent de ne pas l’être, je vous rassure, sa parole publique compte. Plus que ça, elle engage.
L’article 2 crée un Fonds dédié à la transition agroécologique des exploitations agricoles. Actuellement, les coûts et risques liés aux changements de pratiques sont encore trop supportés par les seuls agriculteurs, quand les coûts de dépollution et de prise en charge sanitaire demandent contribution de l’argent public, et que les bénéfices de la transition profitent à la société toute entière.
Investir maintenant dans la transition des exploitations prépare leur rentabilité future et permet des économies d’argent public. En 10 ans, les aides de crise sont passées de 100 millions à plus de 2 milliards d’euros. Elles ne sont satisfaisantes pour personne : ni pour la puissance publique, ni pour les agriculteurs qui préféreraient vivre du fruit de leur travail. Nous continuerons de perdre des milliards si nous n’adaptons pas nos pratiques pour les rendre plus économes, autonomes et résilientes.
Comme la transition profite à tous les acteurs de la chaîne, il n’y a pas de raison que les agriculteurs et les citoyens soient les seuls à contribuer et il est normal que les entreprises fassent leur part, d’autant plus dans un contexte où leurs profits explosent, de 3 à 7 milliards l’an passé. Il est juste qu’une partie de ces surprofits aille aux agriculteurs.
C’est pourquoi nous proposons le financement de ce fonds dans l’article 3, par une taxation sur les surprofits des industries agroalimentaires, de la grande distribution et des phytos redevables de l’impôt sur les sociétés qui réalisent un chiffre d’affaires annuel supérieur à 50 millions d’euros.
Le 23 janvier dernier, nous pointions dans cet hémicycle l’incohérence qu’il y avait à demander à l’agriculture française d’être à la fois vertueuse, pourvoyeuse d’emplois de qualité, et à la fois plus compétitive encore face aux fermes usines du reste du monde.
Nous nous sommes toutes et tous, dans tous les groupes, indigné-es du mal-être des agriculteurs, qui fait que les assurés agricoles ont un risque de décès par suicide 43 % plus élevé que la population générale.
Nous avons tous condamné ici, le manque de partage de la valeur et l’indécence d’un système qui permet à quelques industriels de doubler leurs profits en 1 an, tout en laissant 1 Français sur 5 ne pas manger à sa faim et 18% des agriculteurs vivre sous le seuil de pauvreté.
Nous avons dénoncé, tous, je dis bien tous, la fragilisation des revenus agricoles en dépit d’une productivité en hausse. En 30 ans, le revenu net de la branche agricole a diminué de 40% en euros constant, tandis que 10 % des agriculteurs ont des revenus négatifs (ce qui signifie que c’est souvent le salaire du conjoint qui fait vivre la famille).
Nous avons enfin, toutes et tous, affirmé notre fierté et notre attachement à notre agriculture, à notre souveraineté agricole et alimentaire. Aussi, l’engagement que nous avons toutes et tous manifesté en ce début d’année, sur les barrages, dans les fermes, aux côtés des agriculteurs, parfois même sur une botte de paille ou en ouverture d’un salon de l’agriculture, chers collègues, j’aimerais, même si les média n’y font plus trop attention, que vous vous en souveniez aujourd’hui.
Je regarde mes collègues qui travaillent sur ces questions, sur tous les bancs de notre assemblée. Je sais que ce sujet n’est anodin pour aucun d’entre vous, je sais que comme moi, vous avez ça dans le sang, que chaque suicide, chaque terre avalée, chaque abandon, claque comme un nouveau symptome de l’impuissance du politique. Je sais aussi, qu’une mission parlementaire a été montée, qu’elle auditionne beaucoup de monde, qu’elle prépare, après la première, la deuxième, la troisième, la quatrième loi Egalim, et je sais que vous y mettez tout votre coeur, parce que vous y tenez.
Je crois fermement en la puissance de la politique, en sa capacité à changer la vie des gens, pour le meilleur. Ce mauvais scénario dans lequel nos campagnes se vident de leurs paysans, où nous serions condamnés à vendre ou acheter de la malbouffe pas chère venue d’on ne sait où pour nos 2000 cal/jour sans se soucier de ce que c’est, ni de qui elle fait vivre, ce scénario là n’est pas une fatalité et aucunement un ordre naturel des choses contre lequel toute action publique serait vaine.
Même si nous pouvons dans cet hémicycle avoir des désaccords sur la marche à suivre, nous sommes l’Assemblée Nationale, et nous pouvons, ce jour, envoyer un signal fort : celui d’avoir entendu ce qu’il se passait. Et de commencer, humblement, à y répondre, en faisant de la rémunération des agriculteurs non plus une variable d’ajustement mais la dimension centrale de la fixation des prix.
Alors oui, l’ampleur de la complexité de la construction du prix des produits agricoles ne nous est pas inconnue, et nous avons déjà détaillé en commission, les mesures qu’il nous faudra prendre en plus pour rendre ce dispositif parfaitement opérant. Nous sommes prêts à y travailler.
Nous devrons apporter une plus grande régulation des marchés, pour ne pas mettre en concurrence nos agriculteurs avec des produits agricoles soumis à des normes moins disantes. J’ai déposé un amendement en ce sens.
Nous devrons aussi réguler les marges des industries agroalimentaires, de la distribution et des pesticides, pour aller vers plus de transparence et d’encadrement.
Nous devrons mener un travail sur la disponibilité des coûts de production.
Oui, chers collègues, tout ceci est complexe mais faisable, et la complexité ne doit pas être un prétexte à l’inaction, surtout quand il y a une telle urgence. Cette proposition de loi est une proposition de compromis. Elle se veut être une première pierre d’un chantier plus large pour rendre notre système agricole et alimentaire plus juste. Dès aujourd’hui, nous devons y apporter des garanties.
Elle ne se veut pas être la victoire d’un camp contre un autre. Elle se veut la résultante de tous les débats que nous avons eu dans cette assemblée, de tous les engagements pris et de toutes les voix exprimées ces derniers mois dans nos campagnes.
Non à la régression environnementale. Oui au progrès social.
Le choix du vote d’aujourd’hui est simple chers collègues : êtes-vous pour ou contre une avancée significative en faveur de prix rémunérateurs pour les agriculteurs ?
Je vous remercie
Marie Pochon