Ma déclaration pour la publicisation des doléances

5 minutes. 

5 petites minutes pour défendre, ici devant vous, un texte comme on en étudie tant dans cet hémicycle, mais qui pour moi, et pour des millions de français, revêt une importance un peu particulière. Parce que de texte, nous n’en étudions pas un seul aujourd’hui en vérité : nous en découvrons des centaines de milliers, des près de 20 000 cahiers citoyens qui se sont noircis en cet hiver 2018, des 2 millions de contributions de compatriotes que sinon, on n’aurait sans doute jamais entendu. 

6 ans. 

6 très longues années suite à la révolte des Gilets jaunes, fruit d’une remise en cause de l’injustice fiscale, sociale, environnementale; de l’oubli de territoires entiers, de logiques de marché qui plongent les gens dans des situations inextricables, de la perte de sens, du mépris, du mépris, du mépris, exact contraire de la devise Républicaine, qui semblait alors gouverner. 

Une France, celle qu’on entend jamais, qui trime en regardant le CAC40 exploser, a commencé à écrire. C’est un moment particulier, alors que la répression faisait rage et que le palais présidentiel était fermé, alors que 3 000 ronds points étaient occupés et qu’1,7 million de personnes prennaient part à l’une des plus longues et massives mobilisations de notre histoire, que celui ou d’un coup des milliers de mairies ont ouvert des cahiers citoyens, dans tout le pays, loin du centre des grandes villes. C’était l’opération “Mairie Ouverte” des Maires Ruraux, qui avait alerté dès septembre 2018 sur un risque d’insurrection dans les campagnes.

Ce sera la plus vaste consultation en expression libre connue sous la Ve République. Des milliers de cahiers, noircis des colères, des espoirs, des histoires de vie, des préoccupations et des propositions de nos concitoyens souvent les plus éloignés de ceux qui en décident pourtant.

Des cahiers, qui, malgré la promesse présidentielle, ne seront jamais rendus publics. Pour cause, 15 avril 2019 : des flammes qui se lèvent sur Notre Dame de Paris quelques minutes avant la conférence de presse qui était prévue. On remballe tout, on ferme la parenthèse, on détruit les données. 

On les retrouve alors dans les archives, soigneusement gardés, parfois encore dans les tiroirs des mairies, l’autre jour par chez moi on en a retrouvées à la sous-préfecture. On dit qu’il y en a même quelques centaines d’entre eux, ici à l’Assemblée nationale, mais personne ne sait trop où.

Un “Trésor National”. 

Dans une Assemblée plus que jamais morcelée et dans un pays où l’on peine à définir ce qu’est l’intérêt général, se replonger dans les doléances c’est entendre une France qu’on entend peu ici dans les postures de chacun. On y trouve des demandes sur les mobilités, sur les services publics qui ont du sens, qui font se sentir compter de la même manière dans la République ; sur la justice fiscale, le retour de l’ISF et l’abolition des privilèges ; sur la dignité et la valeur que l’on donne au travail, et à la vie ; sur l’accès aux soins ; sur une transition écologique qui soit juste ; sur la fin du monarque tout puissant entouré de sa cour, pour enfin redonner la parole aux gens, sur le RIC. 

Les “petits” y parlent aux “grands”, le “nous” aux “eux”. 

Le 19 juin 2024, nous aurions dû étudier cette même résolution, dans ce même hémicycle. La crise immense dans laquelle nous avons plongé depuis n’en renouvelle que l’urgence : de celles où l’on sent, au fond de nous, l’incompréhension se mêler au mépris, le chaos laisser la place à la confusion générale, de celles des front républicains qui ne semblent avoir aucune valeur, des promesses qui ne valent rien, de celles de la mise en doute de l’état de droit et de la séparation des pouvoirs. 

Et tout cela est grave, tout cela est tragique : parce que ce sentiment, profond, qui se répand tout doucement dans notre société, il a des racines. Ce sont celles de millions d’espoirs qu’on a éteint, les uns après les autres, qui font qu’on n’y croit plus, que tout ce cirque, là-haut, nous concerne pas, parce que finalement, qui s’intéresse bien à ce qu’on peut dire, à ce qu’on peut vivre. 

Ce sentiment, il a des racines : et je crois profondément que celles-ci se nichent dans ces dizaines de milliers de doléances et qui contiennent sans nul doute une part de notre avenir.

5 minutes, pour vous dire, 6 ans plus tard, avec mes collègues co-signataires que je remercie, qu’il n’a jamais été aussi temps, de restituer et publier les doléances, de reconnaître le caractère inédit et historique de leur recueil, de finaliser la numérisation de chaque cahier de doléances et leur anonymisation, d’accompagner les communes et autorités publiques qui le souhaiteraient pour restituer les doléances émises dans leurs départements, de soutenir la recherche publique pour se faire.  

Monsieur le Ministre, il y a quelques jours, nous avons échangé. Si dur est de refaire confiance, après tant de trahisons. 

Pour autant, je, nous, choisissons de le faire. 

Cette confiance que nous plaçons en la capacité de mener, avec vous, un travail constructif et transparent, sur un comité de pilotage technique pour la publicisation effective des doléances, ne devra pas être trahie. Parce que cette résolution, toute symbolique qu’elle est, engage la parole publique d’un chef de l’État, engage la parole, de centaines de milliers de nos concitoyens, et qu’on ne peut de nouveau, ignorer.

Je veux adresser ici un immense merci aux chercheurs et chercheuses, aux élus locaux, aux archivistes, aux collectifs citoyens, aux gilets jaunes et aux associations qui se sont montés partout dans le pays pour redonner voix aux doléances. 

« Monsieur le Président, j’aimerais que vous expliquiez à ma fille de 5 ans pourquoi maman ne met pas le chauffage partout dans la maison ? (…) Comment fait maman pour rester digne et humble quand les préoccupations du peuple vous passent au-dessus de la tête. Une maman comme les autres ». C’était l’une d’entre elles. 

La dernière fois que des doléances ont été publiées, nous étions en 1903, année où Jean Jaurès initiait un travail de recherche et de publication des doléances de la Révolution Française, lui aussi devant l’Assemblée nationale. 

Aujourd’hui, vous avez l’occasion de le faire en moins d’un siècle.

Marie Pochon

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