“Au début, une collègue m’emmenait à l’usine d’agro, mais elle en a eu marre. J’ai hâte de rappeler l’agence d’intérim, pour reprendre direct. Enfin, je vais pouvoir bouger, revoir du monde”.
Ça, c’est Rose, une maman solo de 24 ans, qui, l’autre jour au garage solidaire de Trélazé, a pu se voir remettre les clefs d’une voiture en location de longue durée à un prix modique, lui permettant de sortir de la galère.
Pour elle, comme pour tant d’autres, la bagnole, “c’est son indépendance, c’est sa liberté” nous dit-t-elle.
Le fait est que Rose, elle n’est pas toute seule dans cette situation.
13,3 millions de personnes étaient en situation de « précarité mobilité » en 2022 dans notre pays. Parmi elles, 4,3 millions de Français ne disposaient d’aucun mode de transport : ni voiture, ni abonnement à une offre de transport. Quand il y en a : Rose, pour se rendre à ce garage solidaire, pour enfin pouvoir accéder à l’emploi, elle a dû prendre un train, puis un bus, puis finir à pied. Cette réalité, c’est la nôtre dans tant de nos campagnes.
Une autre réalité, c’est le modèle économique des garages solidaires, qui s’est largement fragilisé par la mise en place de la prime à la conversion, qui envoie chaque année à la casse des milliers de véhicules parfois peu polluants, parfois sans beaucoup de kilométrage, et bien utilisables : ceux-là même, chers collègues, qui auparavant constituaient le gros des dons aux garages solidaires, qui garantissent la mobilité à ceux qui, sinon, y renoncent.
De ces deux réalités bien concrètes, l’ancien sénateur du Morbihan, Joël Labbé, en a fait une proposition de loi, portant une idée simple et empreinte de bon sens, qui lui avait été soufflée par son garagiste : “Je vois presque tous les jours des voitures destinées à la casse qui sont encore en bon état de marche, quel gâchis. Ces voitures pourraient servir à des personnes ou à des ménages qui n’ont pas forcément l’argent pour en louer ou en acquérir une neuve. Puisque tu es Sénateur, ce serait bien que tu fasses quelque chose en ce sens.”
Cette idée, qui a pris forme dans le texte que nous examinons aujourd’hui, c’est ainsi celle d’une mesure d’intérêt général qui vise à récupérer une partie de ce vivier de véhicules, les moins polluants et ceux encore en bon état, destinés à la casse dans le cadre de la Prime à la Conversion, pour les mettre à disposition des garages solidaires.
En particulier dans les territoires ruraux et isolés, les services de mobilité solidaire, en grande majorité des garages solidaires ou des plateformes de mobilité, sont le maillon essentiel de la chaîne de solidarité.
Ces initiatives, le plus souvent associatives ou privées, qui reçoivent parfois le soutien de collectivités, contribuent à lutter contre les inégalités dans l’accès à la mobilité. Elles tentent, jour après jour, tant bien que mal, de rendre réelle et concrète cette grande idée du “droit à la mobilité” consacrée dans la loi LOM de 2019. Le “droit à la mobilité”, en effet, chers collègues, aujourd’hui il rime dans bien trop de territoires avec renoncer : renoncer à un rendez-vous médical, renoncer à un dîner avec des amis, renoncer à voir la famille pour nos aînés, renoncer à une offre de formation, renoncer à un entretien d’embauche ou à une opportunité professionnelle.
28 % des demandeurs d’emploi ont renoncé au moins une fois à un emploi lors des cinq dernières années pour des raisons de mobilité. Pour beaucoup, ce sont des femmes, qui constituent plus de 70% des bénéficiaires du garage où cette idée est née à Saint-Nazaire.
Là-bas, Tania, entrepreneure, a pu développer son activité grâce au prêt d’un véhicule utilitaire ; Simone, au RSA, a pu retrouver un emploi et cesser de nourrir ses enfants avec l’aide alimentaire. A Trélazé, Cédric, intérimaire, aurait pu perdre son travail s’il n’avait pu trouver une voiture à temps pour s’y rendre. Dans le livre d’or, il est écrit, tout simplement : “Vous aidez des familles à s’en sortir ! Merci !”.
Malheureusement, les services de mobilité solidaire sont aujourd’hui en grande difficulté.
- D’une part, les dons de véhicules, sur lesquels reposent en grande partie leur modèle économique, sont insuffisants pour tenir le rythme de la demande, élevée ;
- D’autre part, les véhicules reçus ont souvent au moins 10 ans, emportant des conséquences en termes de sécurité pour les bénéficiaires, en termes de pollution, ou, parfois, tout simplement, en termes de dignité de la personne.
Or, ces deux tendances sont, a minima, exacerbées par le dispositif de « prime à la conversion » qui existe depuis 2015.
La prime à la conversion poursuit un objectif vertueux : celui d’accompagner et d’accélérer le renouvellement du parc automobile pour aller vers des véhicules moins polluants, le transport routier étant actuellement responsable de 30% des émissions de gaz à effet de serre de la France ; mais il fait actuellement l’objet d’un point aveugle majeur : dans la totalité des cas, sans tenir compte ni de l’ancienneté du véhicule, ni de son kilométrage, ni de son état de fonctionnement ni de son taux d’émissions, les véhicules sont envoyés à la casse. Ainsi, plus d’un million de véhicules ont été détruits dans le cadre du dispositif depuis sa mise en place. Or, 59 % des véhicules mis au rebut dans le cadre de la prime à la conversion sont classés Crit’Air 3.
Tout le paradoxe est là, chers collègues : les garages solidaires fonctionnent difficilement, sur un modèle économique fragilisé, avec des véhicules très anciens et polluants, et des bénéficiaires qui en paient le tribut ; tandis que nous envoyons au broyage chaque année, dans le cadre de la PAC, des voitures souvent plus récentes, moins polluantes et en bon état de marche.
Entendons nous bien : il ne s’agit pas ici de remettre en cause le cercle vertueux de la prime à la conversion, qui a fait ses preuves. Nous souhaitons simplement introduire un bénéfice social, mais aussi bénéfice environnemental, dans le système, en offrant la possibilité de maintenir en circulation les véhicules les moins polluants, pendant une durée limitée, au profit des personnes qui en ont le plus besoin, plutôt que de les envoyer immédiatement à la casse.
L’article 1er de la proposition de loi constitue le cœur du dispositif. Il prévoit la possibilité pour les autorités organisatrices de la mobilité (AOM) de se voir remettre, à titre gracieux, des véhicules voués à la destruction dans le cadre de la prime à la conversion, afin de mettre en place des services de location solidaire.
Le dispositif prévoit que cette faculté s’exerce par le biais d’une convention locale conclue, sur la base du volontariat, entre une AOM volontaire, des associations reconnues d’utilité publique ou d’intérêt général agissant pour les mobilités solidaires et, sur la base du volontariat, les concessionnaires automobiles, les centres VHU et les départements.
Permettez moi ici de revenir sur les quelques amendements, que nous avons examinés en commission. Certains d’entre vous ont exprimé le souhait d’élargir le champ du dispositif au-delà de ces acteurs. J’y suis défavorable :
- D’abord, parce que l’esprit de ce texte est de soutenir et de consolider le rôle des garages solidaires qui doivent rester au cœur du dispositif, car ce sont eux qui aujourd’hui assurent la mobilité solidaire dans nos territoires ruraux et qui ont les compétences et le savoir-faire pour faire de la location de véhicules auprès des plus démunis !
- Ensuite parce que les AOM disposent d’une liberté contractuelle qui n’est aucunement remise en cause par ce texte: Si une AOM juge pertinent de conventionner avec une coopérative ou une entreprise locale pour mettre en place un service de location solidaire, elle pourra toujours le faire.
Je voudrais aussi rassurer certains collègues qui ont exprimé des craintes quant à la disposition qui prévoit l’inscription du dispositif dans les plans de mobilité. Ici, l’intention du législateur est claire sur le fait de ne pas faire dépendre la mise en œuvre du dispositif à son inscription dans le plan de mobilité.
Le Sénat a aussi veillé à encadrer le dispositif par un certain nombre de garde-fous, afin de trouver le juste équilibre entre justice sociale et préservation de l’environnement. En particulier, seuls les véhicules les moins polluants, classés Crit’Air 3 ou mieux, seront concernés. Leur maintien en circulation ne sera possible que pour une durée limitée et l’AOM en sera l’unique propriétaire jusqu’à leur destruction.
Par ailleurs, les collectivités locales bénéficiant d’un principe de libre administration, celles dans l’obligation de déterminer des zones à faibles émissions pourront, si elles le souhaitent, mettre en place une dérogation liée à la mobilité solidaire, comme ce qui se fait à Lyon.
Enfin, je souhaite revenir sur le sujet du rétrofit. La conversion de véhicules thermiques en véhicules électriques, en évitant la production de véhicules neufs, est un cap que nous soutenons. Malheureusement, cette solution n’est aujourd’hui pas suffisamment mature. Faire reposer le dispositif sur les quelques milliers de véhicules concernés, comme certains le proposent, ce serait le vider de toute portée opérationnelle. Procéder au rétrofit d’un véhicule, c’est de fait, vouloir lui donner une nouvelle vie. C’est donc structurellement incompatible avec la prime à la conversion. Pour autant rien n’empêche l’utilisation des véhicules rétrofités dans le cadre de ce dispositif.
Et, bien conscients que le rétrofit pourrait constituer, une fois développé, une solution vertueuse pour compléter ces mesures, nous proposons à l’article 2 la remise future au Parlement d’un rapport du Gouvernement concernant ce sujet.
Chers collègues, c’est avec beaucoup d’émotion que je suis là devant vous, en tant que rapporteure pour ce texte, qui ne va certes pas faire la une des grands médias, mais qui va changer très concrètement la vie de milliers de nos concitoyens notamment dans nos territoires reculés. Ceux qu’on ne voit pas, ceux qu’on n’entend pas et qui parfois, manquent de porte voix ici dans nos Assemblées. Les différents acteurs, garages solidaires, associations du secteur mais aussi plus largement associations de lutte contre l’exclusion, ainsi que leurs bénéficiaires, attendent cette loi avec impatience. Pour eux, il y a urgence. Pour les Français en situation de précarité-mobilité, il y a urgence.
Aujourd’hui, ils nous regardent. Et je voudrais les remercier d’avoir mené cette bataille : mon collègue sénateur Labbé bien évidemment, mais aussi Jacques Malthieu, président du Garage de Saint Nazaire, juste un monsieur formidable, Bernard Dèche, président du réseau Agil’Ess et Michèle Morgan, sa directrice générale, Jean Giraudeau, le directeur de Solidar’Auto, Jacques Fernique, rapporteur avant moi de cette proposition au sénat. Je suis si fière qu’ils m’aient fait confiance pour la porter dans cette chambre.
Ce soir, je l’espère de tout mon coeur, ils pourront nous remercier à leur tour, parce qu’on aura été à la hauteur de notre responsabilité. Parfois sans les jolies dorures, sans les esclandres, sans postures, mais sur le terrain, et les mains dans le cambouis : une responsabilité qui nous appelle à changer la vie des gens, pour le mieux.
Cette loi nous le permet, dès aujourd’hui.
Marie Pochon