MA DECLARATION SUR LES NEGOCIATIONS UE-MERCOSUR

“Ici commence le pays de la résistance agricole”. 

C’était ce qui était écrit sur les panneaux, sur les bords de l’A64, en janvier dernier, au début du plus grand mouvement social paysan de ces 30 dernières années, né du manque de revenus, de la concurrence déloyale, des injonctions contradictoires, des craques racontés sur des bottes de paille, et du mépris.

La résistance. 

C’est celle, aujourd’hui qui nous occupe, du refus du sacrifice d’un modèle agricole qui fait notre fierté et notre honneur, aux mains d’une agro-industrie ultra-prédatrice, de la compétitivité sans entraves et des profits de quelques-uns sur le dos de l’immense majorité. Depuis des années, depuis que cet accord-dinosaure circule de manière opaque dans les travées de la Commission Européenne pour échanger indifféremment des produits agricoles et des bagnoles, la résistance se fait entendre. 

“Pensez à ceux qui sont en bas” ; “Venez voir les gens dans les campagnes comment ils vivent”, vous disent-t-ils. Depuis quelques mois, ça explose. Certains mettront ça sur les élections de chambre qui approchent, d’autres feront l’analyse d’un mal être bien plus profond, qui des gilets jaunes, des doléances jamais restituées, des suicides, de la désertification de nos villages, des panneaux retournés, des vignes qu’on arrache, des troupeaux décimés par la MHE ou la FCO, dit quelque chose des colères et impuissances paysannes d’être enfin considérées, d’être enfin centrales, dans les politiques de la Nation. 

Si nous signons un tel accord, chers collègues, nous acceptons des normes sanitaires dévoyées et des produits que nous interdisons ici – mais nous faisons un plaisir d’exporter ailleurs – dans nos assiettes ; nous acceptons la destruction environnementale en important de la viande produite sur des terres déforestées et des cultures dopées aux pesticides toxiques ; nous acceptons une concurrence déloyale pour nos agriculteurs, qui respectent des normes sociales et environnementales ambitieuses et qui non, ne pourront jamais, jamais, être compétitives avec des exploitations qui font pour certaines, plus de 1000 fois la taille de la moyenne des fermes françaises.

Tout cela, nous ne l’acceptons pas, ni aujourd’hui, et ni demain. 

Si nous devrions cet après-midi convenir d’un relatif consensus sur l’aujourd’hui, sur le “en l’état” chers collègues, Mesdames les Ministres, la véritable question se niche là, dans ce “ni demain”

Suite aux mobilisations agricoles, “il y a des paysans qui ont repris espoir. Et justement parce que cet espoir désormais existe, vous les politiques, vous n’avez plus le droit de les décevoir”, me disait encore ce matin l’agriculteur Jérome Bayle. Alors, nous sommes là cet après-midi, à débattre après en avoir été prévenus il y a 5 jours, d’un texte qu’on ne nous a pas transmis, dont on ne sait s’assurer qu’on puisse y mettre un véto, sur le contenu d’un accord de libre échange auquel personne n’a eu accès depuis au moins 5 ans, dont la commission européenne dit elle même que celui-ci ne sera pas revu, dont on ne sait même pas si le Gouvernement qui dit s’y opposer si fermement y a proposé des alternatives. 

Mesdames les Ministres, en ces 20 ans de négociations obscures, le Gouvernement français a-t-il demandé à pouvoir infléchir le contenu de l’accord, et sur quels points ?

Derrière tant d’opacité, d’impréparation, de mépris démocratique, Mesdames les ministres, qui a véritablement intérêt à vouloir adopter quoiqu’il en coûte cet accord de libre-échange ? 

On le sait tous, il y aura quelques gagnants, et tant de perdants. 

  • Oui, les élevages de 70 000 têtes de bétail sur 100 000 ha qui peuvent exister au Brésil, gagneront des marchés au détriment des exploitations familiales et pastorales qui dessinent nos paysages ;
  • Oui, l’industrie des pesticides va pouvoir accroître ses exportations, y compris de produits interdits d’usage sur le sol européen, et au risque que ces mêmes produits reviennent sous forme de résidus dans nos supermarchés ;

Chers collègues, nous avons perdu 100 000 exploitations agricoles ces 10 dernières années. 23 % des agriculteurs vivent sous le seuil de pauvreté. On atteint des niveaux d’endettement agricoles jamais vus, on exige en même temps l’excellence agricole, tout en imposant de produire à bas coût pour être compétitifs face au marché mondial. Tout cela, alors que les changements climatiques et les crises sanitaires se multiplient et bouleversent tous nos modèles, présageant le pire pour notre capacité à produire et nous nourrir demain. 

Mesdames les Ministres, vous ne pouvez pas en même temps laisser les prix agricoles s’effondrer, et refuser d’encadrer les surprofits de l’agro-industrie, qui ont vu l’an dernier leurs profits bruts doubler de 3 à 7 milliards ! Combien de temps pourrons nous continuer à nous enorgueillir de l’excellence agricole française, alors même qu’en 10 ans nous avons perdu un cinquième de nos exploitations?

Veut on une agriculture pour enrichir les banques et les agro-managers, ou pour nourrir les citoyens dans la dignité grâce à un modèle rémunérateur et protecteur de notre santé, de notre sol, de notre air ? Jusqu’où irons nous pour baisser les prix de nos aliments en faisant exploser leurs coûts cachés ? 

Ni demain, donc

Nous vous demandons de vous opposer à cet accord aujourd’hui et demain, parce que demain, nous devrions construire une agriculture rémunératrice, respectueuse des écosystèmes et des agriculteurs et en réaffirmant que la première mission de l’agriculture n’est pas d’être compétitive, mais bien de nourrir les populations de manière digne. Et cet accord ne va qu’imposer, dans la course au prix bas, que de la malbouffe bourrée de pesticides aux millions de personnes sans le sou que vos politiques austéritaires font prospérer.

Mesdames les Ministres, chers collègues, le président de la République a annoncé qu’il ne signerait pas l’accord en l’état. De notre côté, nous pensons qu’il ne faut pas signer l’accord du tout. 

Ni aujourd’hui, ni demain. Pour tenir parole, écouter les gens, ne pas décevoir. Pour qu’ici, dans cette assemblée nationale, de ce court moment que nous avons pour nous exprimer, nous puissions être à la hauteur de ces panneaux qui disaient : “Ici commence le pays de la résistance agricole”.

Je vous remercie. 

Marie Pochon

ABONNEZ-VOUSAU JOURNAL DE BORD !

ABONNEZ-VOUSAU JOURNAL DE BORD !

En vous inscrivant, vous recevrez chaque semaine le détail des actions et réalisations de Marie Pochon.

Merci, vous êtes bien inscrit.e !