Ma motion de rejet préalable de la LOA

Je ne voudrais pas commencer ce Salon de l’agriculture en disant aux agriculteurs que les parlementaires ne les ont pas entendu” disiez vous, Madame la Ministre, à nos collègues sénateurs hier après midi, à la fin de l’examen en dents de scie d’un texte tout aussi attendu qu’il a été transformé, dans cette année qui vient de passer. 

Ce qu’il reste de son ambition initiale, c’est pas grand chose, tout au plus le mot “agriculture” dans son titre, supposé qu’on en voit les mêmes réalités. Cela vous importe peu : Il fallait aller vite, quitte à ce que la CMP ait lieu 3 heures à peine après le vote du Sénat, que ce vote ce soir ait lieu seulement 5 heures après la publication du texte final. 5 heures. Peu importe, l’objectif était fixé : il fallait faire des annonces à l’ouverture du salon

Samedi, vous pourrez y annoncer par le menu ce qu’il est advenu de la fameuse Loi d’Avenir et d’Orientation agricole, qui devait fixer un cap, qui devait répondre aux mobilisations de l’an passé. Une loi d’avenir pour notre agriculture, dont la préparation avait été rythmée par des concertations en grande pompe avec les acteurs du monde agricole, les associations, les élus, pour répondre au plus grand plan social que notre pays ait connu ces 50 dernières années, aux suicides tous les deux jours, aux rendements en berne, aux ventes à perte, à la désertification de nos villages, à la crise de l’agriculture bio, à l’effondrement du vivant.

Vous viendrez peut-être leur expliquer les vertus des accords de libre échange, les revirements sur les prix planchers, le grand désert sur l’application d’Egalim, les petits coups de pression sur l’agence bio ou sur l’OFB ; tout cela dans une année où le nombre d’agriculteurs a encore diminué, où les grandes entreprises agroalimentaires ont encore augmenté leurs marges ; où 8 millions de personnes dépendent encore de l’aide alimentaire dans notre pays. 

Nous exportons la production de 43 % de nos terres et nous importons trois quarts des pâtes et semoules qui nourrissent notre population alors que l’on pourrait largement satisfaire notre consommation moyenne française. Quand au XXe siècle l’objectif – légitime – des politiques agricoles était de manger tous, le sens de l’histoire d’aujourd’hui devrait nous amener à celui du manger mieux et des produits de qualité. Ce n’est pas le vôtre : vous persistez à faire de notre ferme France et de tous les agriculteurs avec, un simple élément de l’équilibre de la balance commerciale : nous exportons ce dont nous avons besoin, nous importons ce dont nous avons besoin. L’absurde érigé en modèle. 

Vous expliquerez donc aux agriculteurs en quoi, à l’heure des bouleversements climatiques, géopolitiques et économiques de notre monde, de ceux qui fondent légitimement l’angoisse de tant de paysans de notre pays, une loi comme celle-ci, qui ne comprend rien sur la capacité des agriculteurs à pouvoir fixer leurs propres prix pour ce qu’ils produisent et vendent, rien sur leur capacité à pouvoir vivre de leur travail dignement, rien sur la spéculation foncière, rien sur le renouvellement des générations, rien sur la concurrence déloyale, rien sur l’adaptation au changement climatique, pourra répondre à leurs préoccupations. 

D’installation, cette loi de renouvellement des générations agricoles n’en souhaite paradoxalement pas, puisqu’elle ne fixe aucun objectif, ne se dote d’aucun outil d’évaluation et d’aucun moyen pour la faire appliquer, comme ça c’est sûr, on prend aucun risque que ça ne serve à quoique ce soit. 

De formation et d’attractivité des métiers, cette loi ne met aucun moyen supplémentaire mais crée simplement un “Bachelor Agro” permettant l’acquisition de compétences managériales dans un univers mondialisé et ultra-concurrentiel. Pas grave pour les 50% des porteurs de projets en agriculture qui souhaitent s’installer en agriculture biologique. Pas grave pour toute cette nouvelle génération, qui ne suffira même pas à remplacer les anciennes. 

De transition, elle qui n’en n’aimait que l’idée abstraite il y a un an, celle d’adjectifs peu contraignants ajoutés ci et là, elle en détruit aujourd’hui, à son retour du Sénat et du lobbyiste Duplomb, les fondements même. Elle en devient dangereuse, à force de déployer tant d’énergie à poursuivre le détricotage entamé du droit de l’environnement quand la très grande majorité des agriculteurs demandent au contraire d’être accompagnés face à la crise climatique, qu’à ce moment-là de notre histoire, c’est un choix politique criminel. 

On parle du “pire recul environnemental depuis au moins une décennie”. 

Rendez-vous compte, en mai dernier je dénonçais ici même la mouture du projet de loi qui passait alors chez nous : Nous nous offusquions d’un intérêt général majeur qui n’avait aucune valeur en droit, d’un bachelor agro qui ne réinventait pas l’eau chaude, d’un texte juste vide de tout. 

Un an plus tard, voilà que l’on consacre dans ce texte le principe démagogique et inapplicable du “pas d’interdiction sans solutions économiquement viable et techniquement efficace” en parlant des pesticides, alors même que la performance économique de l’agriculture industrielle est une illusion et représente un coût faramineux, certes caché, mais que nous payons quand même – et pas peu cher. Alors même que plusieurs scénarios de référence ont modélisé la faisabilité de l’agroécologie à l’échelle française ou européenne.  

  • Je pourrais citer, également la dépénalisation tout à fait inconstitutionnelle des atteintes “non intentionnelles” à la biodiversité donnant tout simplement un permis de détruire la biodiversité, en réduisant à une simple contravention de 450 euros la destruction d’une espèce protégée ou son habitat ; et ce, non pas pour les agriculteurs qui je ne sais dans quel monde ont demandé ce droit – mais pour tout le monde : ainsi les industriels pourront émettre des rejets toxiques, les énergéticiens détruire une couleuvre d’Esculape, les chasseurs tirer un gypaète barbu plutôt qu’un sanglier, et tout cela ne sera pas grave. L’autorité c’est bien quand ça vous arrange. Quand il s’agit de criminaliser des enfants ou des étrangers, c’est à celui qui sera le plus dur mais quand il s’agit de s’attaquer aux multinationales qui polluent notre environnement ou tuent nos paysans en les empoisonnant, toute autorité disparaît. Quand il s’agit de vos amis, quand il s’agit des puissants, vous plaidez l’erreur, la compréhension, la seconde chance. Vous n’êtes forts qu’avec les faibles et terriblement faibles avec les forts.
  • Je pourrais citer, également, la remise en cause du zéro artificialisation nette,  
  • ou l’assouplissement des règles pour créer des stockages d’eau, alors même que la question du partage de l’eau entre les différents usages est au cœur des débats dans tous nos territoires, et que rien n’est dit sur le partage de l’eau entre les agriculteurs eux-mêmes. 

Vous voulez faire primer le soutien des capacités exportatrices que vous appelez “souveraineté agricole”, sur celui de notre capacité à produire, aujourd’hui et demain. 

Rendez-vous compte, chers collègues, des régressions que vous acceptez pour que le chef de l’Etat puisse simplement ne pas rendre une copie blanche au Salon !  

Nous vous proposons donc, par cette motion de rejet préalable, de couper court à la démagogie et au climato-scepticisme, et de demander au Gouvernement de revoir sa copie, de revenir devant l’Assemblée avec un texte à la hauteur. Vous pourrez nous dire qu’on ne peut pas perdre de temps plus encore sur un sujet si important : nous sommes d’accord. Cependant nous considérons que la perte de temps, immense, implacable, elle réside justement dans votre texte, tant il nous en fera perdre face aux défis immenses que nous avons devant nous. 

Chers collègues, j’aurais tellement aimé qu’on nous propose un texte qui ne nous oblige pas à déposer cette motion de rejet. Comme beaucoup ici, et sur tous les bancs de cette assemblée, je suis très attachée au monde agricole. J’y ai grandi, on m’a éduquée au rythme des bonnes et des mauvaises saisons, des vendanges, et de leurs saisonniers, des regards inquiets sur le bulletin météo lors des gels tardifs, au bruit des canons à grêle installés partout dans la vallée. J’y suis également attachée comme écologiste, et suis effarée d’entendre dans vos discours revenir la démagogie anti-écolo dès qu’il s’agit de faire la course au clan Le Pen. 

L’agriculture, notre souveraineté alimentaire, la vie dans nos villages, valent bien mieux que ça; que d’être instrumentalisées dans vos piètres stratégies électorales, qui ne fonctionnent par ailleurs, comme l’ont montré les dernières élections pour vous, pas du tout. 

Que direz-vous aux agricultrices et agriculteurs à qui vous avez promis monts et merveilles quand demain, rien n’aura changé pour eux, malgré cette loi « d’orientation » ?  

Que direz-vous aux arboriculteurs de la vallée du Rhône qui enchaînent les saisons désastreuses, à cause du gel, à cause de la grêle, à cause de la sécheresse ? Leur direz vous que la question de l’adaptation au changement climatique était en option ? Qu’elle n’était pas essentielle ? qu’elle était une lubie des gauchistes qui ne comprennent rien à l’agriculture ?  

Comment rester compétitif quand on subit les aléas climatiques non pas une fois de temps en temps mais coup sur coup pendant 3 ou 4 années de suite ? Quand les assurances ne suivent plus ? Quand les cours fluctuent tant, quand l’endettement mine les corps de fermes, quand, alors que plus personne au téléphone ne répond, faute des 531 millions d’euros que vous avez supprimé des budgets agricoles, l’échec survient ? 

L’échec : 

  • Sur le revenu, votre bilan est si mauvais que vous avez affronté l’une des plus importantes mobilisations sociales agricoles des dernières décennies. 
  • Sur l’environnement : votre bilan est catastrophique, l’agriculture est désormais le 2e secteur émetteur de GES, les modes de production que vous avez promus ont provoqué un tel recul de la biodiversité qu’ils menacent notre capacité à continuer de produire. 
  • Sur le renouvellement des générations, sujet de cette loi : on peut difficilement faire pire puisque 100 000 exploitations ont été perdues ces 10 dernières années. Ce sont des milliers de familles démunies, d’agriculteurs endettés, des jeunes qui renoncent à reprendre la ferme familiale. Et ce n’est pas seulement l’agriculture qui meurt mais des communautés entières qui se retrouvent fragilisées, ce sont les usines, les commerces qui préfèrent aller voir ailleurs, les classes qui ferment, ce sont nos villages qui se vident, c’est le lien social qui s’étiole. 

Votre échec, c’est aussi l’aggravation des inégalités entre les mondes agricoles. Car il n’y a aujourd’hui rien de commun entre les grands céréaliers exportateurs habitués des plateaux TV et des réunions ministérielles et les petits éleveurs ovins pastoraux qui nourrissent nos territoires et entretiennent nos paysages : 

  • Les gros, à qui vous parlez, captent la majorité des aides publiques pendant que les autres se partagent les miettes
  • Les gros contrôlent en parallèle les coopératives, les industries pendant que les petits sont écrasés sous leur poids, ne décidant de rien, et surtout pas du prix
  • Les uns réclament de raser les haies et de ré-autoriser des pesticides, pendant que les autres revendiquent des prix rémunérateurs et la fin de la concurrence déloyale. 

Les autres, c’est la grande majorité des agricultrices et des agriculteurs, puisque vous le savez, la taille moyenne des exploitations en France est de 69 hectares. Ce sont ces agricultrices et agriculteurs qui font appel à la solidarité en lançant des cagnottes pour maintenir leur activité, faute de soutien public. 

Entre les uns et les autres, il faut faire un choix. 

Et comme toujours, avec votre idéologie ultra-libérale : voici le vôtre : enrichir la minorité au détriment de la majorité. 

Heureusement, à l’opposé de votre inertie, de votre peur du changement, de votre manque de courage, les françaises et les français agissent, ils font par eux mêmes, ils se débrouillent sans attendre l’appui des politiques publiques davantage pensées pour servir quelques capitaines d’industrie.

Dans la Drôme d’où je viens, on sait ce que l’on doit à l’agriculture. Vignobles, abricotiers, lavande, élevages pastoraux, chênes truffiers, noyers, oliveraies, semences : c’est là que nous puisons notre force, la beauté époustouflante de nos paysages, la résilience de notre territoire. 

Chez moi, près de 30% de la SAU est en bio. L’élevage ovin et caprin est pâturant. On y défend des IGP, des AOP, de grande qualité. On y bâtit la Biovallée, la première Commission Locale de l’Eau en France, des foncières comme Terre de Liens, des épiceries coopératives… On crée, on innove, pendant que vous subissez la décroissance que vous prétendez combattre : au contraire, ici, les jeunes qui cherchent à s’installer se bousculent. C’est comme ça qu’on permet à tant d’enfants drômois d’avoir des repas sains, bio et locaux à la cantine, et qu’on vit avec fierté, le métier d’agriculteur. Je tiens aujourd’hui à leur rendre hommage, à toutes celles et ceux qui ont bâti, et œuvrent à bâtir au quotidien, chacun à sa place, cette fierté. 

Je tiens à rendre hommage à ce secteur agricole qui fourmille d’innovations, d’initiatives collectives, de coopération. Bien loin des images de l’agriculture et de ceux qui la font que vous vous plaisez à dépeindre, ces femmes et ces hommes agissent au quotidien, inventent, créent et font face aux conséquences de vos politiques désastreuses. 

On aurait dû, ce soir, adopter une loi d’orientation agricole qui porte la plus haute ambition pour notre agriculture qui fait notre histoire, notre fierté et notre avenir. Elle est vivante, et elle fait vivre nos territoires : 

  • Quand vous échouez à atteindre tous les objectifs d’EGAlim dont celui de 20 % de bio dans les cantines en atteignant péniblement les 6 %, toutes les villes écologistes surpassent largement les objectifs. En quelques années, nous sommes déjà à +50 % de bio dans de grandes villes comme Lyon, Montpellier ou Bordeaux mais aussi dans des plus petites comme Bègles, à 71%, et Mouans-Sartoux, à 100%. 
  • Quand vous vous battez pour une PAC inégalitaire qui distribue 80 % des aides européennes à 20 % des fermes, les écologistes se battent pour des aides à l’actif qui favorisent l’installation
  • Quand vous laissez la filière bio dépérir en refusant de modifier l’éco-régime de la PAC, les écologistes soutiennent partout les producteurs bio et mettent en place des innovations comme à Strasbourg où les ordonnances vertes permettent aux femmes enceintes de profiter de produits sains et aux maraîchers bios d’augmenter leurs débouchés pour leurs productions
  • Quand vous artificialisez les terres agricoles et faites disparaître des fermes, le Grand Lyon protège 10 000 ha, Nantes Métropole en protège 14 000
  • Quand vous signez tous les Accords de Libre Échange qui passent, nourrissant la concurrence déloyale pour nos agriculteurs, et importez les fermes-usines en France, nous défendons l’élevage paysan, le moins mais mieux qui permet la survie de nos modèles herbagers et pâturants
  • Quand votre politique précarise, fait exploser les files des caisses alimentaires, les écologistes expérimentent à Grenoble, à Bordeaux, à Dieulefit, la sécurité sociale de l’alimentation
  • Quand vous vous satisfaites des ventes à perte, que vous videz la DGCCRF de ses moyens d’action, nous faisons adopter, contre vous, avec tous nos collègues ici réunis, la garantie de prix rémunérateurs pour les agriculteurs

Assurer la sécurité des agriculteurs, c’est protéger leurs métiers, leur santé, c’est assurer qu’en regardant leurs enfants, ils puissent avoir envie de transmettre l’histoire d’une vie que représente souvent une ferme parce qu’ils savent qu’ils leur légueront des métiers rémunérateurs, où ils peuvent s’épanouir, expérimenter, s’inscrire dans des écosystèmes vivants, produire une alimentation saine et de qualité, en être fiers. 

Cette profonde crise de notre modèle agricole, elle n’est pas inéluctable. Elle résulte de choix politiques, que vous faites. 

Non, il n’y aura pas plus d’installations avec cette loi, et vous le savez très bien. 

Ce texte est la parfaite illustration de la montée du trumpisme, même dans notre pays. Il consacre le rejet de la science dont tous les travaux et consensus sont bafoués, l’empilement de mesures démagogiques et  anticonstitutionnelles dont on sait qu’elles sont inapplicables, l’argent roi où seuls les plus gros et les plus riches doivent régner. Cette année que vous avez passée à affaiblir le droit de l’environnement, nous avons également appris la première extinction d’une espèce continentale d’oiseau en Europe : le Courlis à Bec Grêle. 

Chers collègues, je sais bien que Madame la Ministre a besoin d’une annonce pour le salon de l’agriculture : nous vous proposons de remiser ce texte, temple des horreurs, et d’en proposer un autre qui véritablement mettra au cœur de nos politiques agricoles, la science et notre agriculture paysanne et familiale.

Marie Pochon

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