Mon courrier sur le Plan national d’actions 2024-2029 sur le loup et les activités d’élevage

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Madame la Première Ministre, 

Monsieur le Ministre de la Transition écologique et de la cohésion des territoires, 

Madame la Préfète coordonnatrice du Plan national loup et activités d’élevage, 

Monsieur le Préfet référent national sur la politique du loup, 

Selon l’indice planète vivante du WWF, entre 1970 et 2018, la taille moyenne des populations de vertébrés sauvages a décliné de 69%. Cet effondrement de la biodiversité est le résultat d’une dynamique de domination de l’homme sur la nature. Depuis trop longtemps, nous cherchons à contrôler, à faire reculer la nature, pour prioriser, à ses dépends, nos activités économiques. A nos dépends, également, car nous sommes partie prenante du vivant. L’agriculture paye actuellement lourdement les conséquences de cette dualité qui a été poussée trop loin : les  impacts croissants du dérèglement climatiques ou bien l’effondrement des pollinisateurs, induits par des pratiques néfastes à l’environnement, menacent gravement la résilience de notre système agricole et alimentaire. Les impacts des changements climatiques causés par les activités humaines menacent nos habitations, notre santé, nos droits, nos démocraties, et notre modèle économique lui-même. La réalité se rappelle donc à nous : humains et environnement sont interdépendants. Nier cette réalité, c’est aller encore plus loin dans la fuite en avant, qui conduit notre activité économique à détruire les conditions d’habitabilité de la Terre. 

Le retour du loup en France cristallise tout cela. Son retour dans une société qui l’a tenu à l’écart pendant si longtemps sème la panique. Et à juste titre : les attaques sur les troupeaux et la pression subie par les éleveurs sont réelles et terriblement violentes. Le retour naturel du loup a eu lieu et nous oblige à faire face à un changement de paradigme : continuer la logique de domination – qui ne pourra être assouvie qu’avec l’extermination totale des prédateurs sauvages -, ou passer à la cohabitation. Ce passage d’un état à l’autre est forcément complexe, inconfortable, sans aucun doute douloureux et requiert une forte capacité d’adaptation pour l’élevage. Cette adaptation est d’autant plus difficile que les éleveurs pastoraux font déjà face à des difficultés majeures. 

Nous, écologistes, avons toujours soutenu un élevage pastoral extensif, garantissant l’entretien des prairies et la protection de la biodiversité, luttant contre le risque incendie, garantissant un élevage durable, rémunérateur, résilient car autonome. Il est aujourd’hui menacé, de toutes parts. Les éleveurs pastoraux sont celles et ceux qui reçoivent le moins d’aides publiques tant bien même ils sont les plus vertueux. En France, ils sont parmi les plus endettés du continent et engrangent le moins de revenus. Les impacts des changements climatiques, la poursuite des accords de libre échange, le manque de politiques d’alimentation et de régulation des marges des secteurs de la transformation et de la distribution menacent leurs troupeaux, menacent la santé même de nos éleveurs, au profit d’élevages plus industrialisés qui concentrent de plus en plus les cheptels. A tous ces enjeux, depuis quelques années, s’ajoute celui de la prédation. Et, poussés par un complexe agro-industriel défendant le statu-quo, tout le monde regarde le loup, comme l’apanage de toutes les difficultés. 

Il n’est pas question de remettre en cause la douleur des éleveurs face au retour du loup. La peur qui tenaille, le prédateur qui rôde, les bêtes massacrées, l’impuissance ressentie. Nous, élu·es de terrain, connaissons que trop bien des éleveurs et éleveuses qui se sentent légitimement désarmé·es et abandonné·es face au loup et la prédation. Dans ce contexte, tout nous pousse à réagir par l’émotionnel, que ce soit du côté de ceux que l’on peut appeler les “pro-loups” mais aussi du côté des éleveurs et de ceux qui s’opposent au retour du loup. Pour autant, l’action publique se doit de dépasser l’émotionnel, pour viser, via une stratégie de long terme, une cohabitation durable avec le loup. Le recul de la conservation du loup ouvert par le projet de PNA 2024-2029 marquerait une capitulation de la France sur le dossier. Répondre à une situation complexe par des mesures simplistes, court termistes et surtout non éprouvées, ne pourra jamais constituer une réponse politique satisfaisante, et encore moins pour un PNA, censé être une stratégie de long terme “visant à assurer la conservation ou le rétablissement dans un état de conservation favorable d’espèces de faune et de flore sauvages menacées” tout en protégeant notre élevage pastoral ancestral.  

Les Écologistes appellent donc le gouvernement à ne pas céder aux sirènes de l’émotionnel et à viser, toujours, une cohabitation apaisée avec le loup. Tel doit être doit être le cap du prochain PNA. C’est pourquoi, les Écologistes ont porté un avis défavorable sur le projet de PNA 2024-2029 soumis pendant quelques jours à consultation ce mois-ci. 

Nous vous alertons tout d’abord, sur le fait que ce nouveau PNA a été réalisé sur la base d’aucun bilan ou évaluation de l’efficience des actions mises en œuvre lors du précédent PNA (2018-2023). Comment bâtir des politiques publiques effectives sans évaluer celles qui ont été menées jusqu’à présent ? Aucune analyse quant à l’efficacité de la protection des troupeaux et des tirs létaux n’a été menée, qui sont pourtant deux leviers d’action centraux du plan. Un bilan sérieux doit donc être conduit rapidement, pour que les évolutions à prévoir dans le prochain PNA soient les plus pertinentes possibles. Ce bilan doit également servir à la construction d’une stratégie de long terme qui ait pour objectifs clairs : la pérennité des systèmes pastoraux et d’élevage extensif ; et la préservation des écosystèmes incluant le loup. 

Ensuite, ce projet de PNA a reçu un avis défavorable du Conseil National de la Protection de la Nature alors même qu’il avait émis un avis favorable sur le précédent plan en 2018. Le CNPN est l’instance d’expertise scientifique et technique, compétente en matière de protection de la biodiversité et plus particulièrement de protection des espèces, des habitats, de la géodiversité et des écosystèmes. Son rôle a été réaffirmé dans la loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 relative à la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages. Ainsi, le changement d’avis de la part du CNPN est révélateur des régressions du plan en matière de protection de la biodiversité. A l’heure ou nous faisons face à la sixième extinction de masse des espèces, le projet de PNA doit être révisé afin d’obtenir un avis favorable du CNPN, sans quoi il ne pourra être soutenable. 

Ce projet de PNA est en l’occurrence déséquilibré sur le rôle du loup. Il ne présente que les impacts négatifs de la présence du loup et occulte presque complètement les bénéfices écologiques apportés ; l’avis négatif du CNPN n’ayant conduit jusqu’alors à aucune modification du texte. 

Plus concrètement, il ouvre la voie à une régression du statut de conservation du loup. La modification du statut de protection du loup et son déclassement d’espèce strictement protégée, envisagé à la fois dans la Convention de Berne de 1979 et dans la Directive Habitats de 1992, est absolument contraire à l’objectif d’assurer un bon état de conservation. Ceci marquerait un recul inacceptable en matière de protection de la faune sauvage, alors même que la préservation de la biodiversité est une urgence absolue, dans un contexte d’effondrement du vivant. Alors que le Cadre mondial de la biodiversité de Kunming-Montréal qui vise à stopper et inverser la perte de nature, a été adopté il y a tout juste un an, aucun recul en matière de protection de la faune sauvage ne saurait être justifié ; en particulier, sans études poussées, comprenant non seulement le nombre d’animaux, mais également leur diversité génétique. Censé contribuer au bon état de conservation d’une espèce, le projet de plan présenté ouvre la possibilité de déclassement de cette même espèce et s’apparente ainsi davantage à un cheval de troie qu’à un PNA. 

Aussi, la modification du protocole de tir dans une logique de simplification et sans tenir compte des réalités locales est infondée scientifiquement dans une contexte où des études pour évaluer l’efficacité des tirs sont en cours et n’ont pas encore rendu leurs conclusions. Elle ne bénéficie donc à date d’aucune légitimité scientifique. Une récente étude publiée dans la revue Naturae, souligne par ailleurs que “les effets des tirs pouvaient être multiples et dépendaient des contextes dans lesquels ils étaient réalisés”.  Les résultats de la thèse invitent à adopter “une gestion contextualisée des attaques par les tirs, c’est-à-dire ajustée aux situations locales, en complément des mesures de protection, elles aussi ajustées aux contextes locaux.” Par ailleurs, plusieurs études ont montré qu’il n’y avait pas de corrélation entre le nombre de loups et les attaques. La simplification des protocoles de tir, si elle n’est pas adossée à des recommandations scientifiques et à minima ajustée aux contextes locaux risque ainsi d’être une solution de maladaptation, qui ne bénéficiera ni à la biodiversité, ni aux éleveurs ! Aussi, nous rappelons que seuls les enseignements scientifiques pourront déterminer quels sont les protocoles les plus à même de protéger les élevages. 

Dans ce contexte, les Écologistes formulent plusieurs recommandations pour améliorer ce projet de PNA, et de manière générale pour améliorer la coexistence des élevages et du loup : 

  • Réaffirmer la place du loup dans la biodiversité et ses bénéfices écosystémiques
  • Mieux intégrer les avis des scientifiques, des travaux du Groupe National Loup et du Conseil National de Protection de la Nature, ainsi que du bilan et de l’analyse de la mise en œuvre du précédent plan Loup.
  • Améliorer la protection des troupeaux, via : 
  • Un renforcement à la fois des moyens financiers et humains de l’Office Français de la Biodiversité et des brigades de louvetiers, pour accélérer et renforcer l’adaptabilité de leur capacité d’intervention dans le cadre du déclenchement des tirs de défense.
  • Le développement d’outils de prévention efficaces pour les attaques sur bovins
  • Le soutien au développement de moyens non-létaux et de procédés de protection dits “alternatifs” (piégeages, surveillance électronique, effarouchage…)
  • Le soutien aux expérimentations locales (notamment dans les PNR), visant à améliorer la cohabitation avec le loup
  • La mise en place de stratégies et des solutions locales adaptées à chaque contexte et définies avec les acteurs locaux
  • Mieux accompagner et protéger les éleveurs et bergers pour faire face aux prédations, via :
    • L’accompagnement à la formation des éleveurs et bergers face à ces nouveaux risques (formations sur l’élevage des chiens de protection, ou sur l’éthologie du loup) en prévoyant une automatisation de droits et d’accès à la formation pour les professionnels – incluant ici les bergers, dans le cadre de leur travail saisonnier
    • L’accompagnement humain et financier, lorsque cela est pertinent, à la modification des pratiques d’élevage, pour réduire le risque de prédation (ex : changement de pâturage vers des zones moins exposées pendant les périodes à risque, rassemblement nocturne)
    • La reconnaissance d’un statut pour le chien de protection pour garantir la protection de nos éleveurs sur le terrain, en limitant leur responsabilité juridique
    • Le renforcement des soutiens financiers pour les frais liés aux chiens de protection
    • La généralisation d’un accompagnement psychologique et social des éleveurs subissant une attaque
    • La mise en place d’un fonds assurantiel pour les chiens de protection
    • Le développement d’une véritable politique de sensibilisation des usagers, des professionnels du tourisme et des sports de plein air vis-à -vis des chiens de protection
    • Etudier la possibilité de reconnaître l’existence de troupeaux non-protégeables, du fait des conditions matérielles et géographiques
  • Développer la recherche et les études scientifiques dans l’objectif de :
    • Mieux comprendre les déterminants de la prédation sur les troupeaux et l’éthologie du loup
    • Mieux comprendre l’efficacité relative des différentes solutions de protection de troupeau, et ce selon les contextes locaux 
    • Mieux anticiper l’installation des meutes, et ainsi mieux anticiper l’adaptation des pratiques consécutives à l’installation pérenne des loups plutôt que d’attendre et subir des situations de crise.

Je vous prie de croire, Madame la Première Ministre, Monsieur le Ministre de la Transition écologique et de la cohésion des territoires, Madame la Préfète coordonnatrice du Plan national loup et activités d’élevage et Monsieur le Préfet référent national sur la politique du loup,  à l’assurance de mes sentiments les meilleurs. 

Marie Pochon, députée de la Drôme


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