Mon discours au congrès du Parti Vert Européen – Ruralité et Écologie !

Published by Marie Pochon on

C’est un immense honneur et plaisir pour moi d’être devant vous aujourd’hui, amis, collègues, et membres de cette si belle et grande famille écologiste Européenne. 

Quelle pression aussi ! Me voilà à devoir m’exprimer à la fois, aidée par Benoit et Marie, au nom des Écologistes français, pour vous dire des mots d’accueil et d’espoir; mais aussi en tant qu’ancienne jeune militante à la Fédération des Jeunes Verts Européens, cette Europe où  j’ai grandi au rythme de campagnes, des séminaires, des formations, des voyages, des amitiés transnationales, et d’une Europe qui émancipait. Me voilà à revoir des copains, de ceux avec qui on se retrouvait à 2h du matin sur une plage de Malte ou un café de Bruxelles pour refaire le monde, qui sont désormais élus locaux, députés, ministres parfois de par l’Europe : merci d’être là, d’oeuvrer chaque jour pour faire avancer l’écologie politique, la défense du vivant, des droits, de la justice, partout sur le continent, et au-delà. Vous donnez trop de force. 

Nous vous accueillons en France, dans un moment un peu particulier de notre histoire. Celui d’un remaniement gouvernemental qui vient de consacrer l’élitisme des beaux quartiers parisiens, les passe droits dans un mépris de l’égalité et de la promesse Républicaine ; un moment qui parle de chocs, de réarmement, de durcissement; un moment qui voit de nouvelles majorités avec l’extrême droite se former autour de lois immigration anticonstitutionnelles et xénophobes. 

Un moment, qui est celui d’un mouvement agricole inédit, qui a bloqué les routes de tout le pays ces 10 derniers jours, dont on ne sait exactement ce qui en sortira. Depuis des décennies, la France, comme de nombreux pays européens, s’engouffre dans les injonctions contradictoires et, en se pliant aux règles de l’agro-business, a piétiné la promesse émancipatrice de la transition écologique. 

Je vous le dis, c’est criminel. 

Hier, nous avons eu les premières annonces. Pause sur la réduction des pesticides. Pause sur les jachères. Rien sur les revenus. 

Chers amis, je vous dis ces mots, alors que nous célébrons aujourd’hui les 50 ans de l’écologie politique. 50 ans après René Dumont, nous vous accueillons ici avec gravité, dans un moment particulièrement difficile, où de nouveau, certains ont mené la fausse bataille de l’économie contre l’écologie, pour que tout y perde en réalité. Ou de nouveau, ce seront les profits de quelques-uns qui primeront sur la santé humaine et la protection du vivant.  

Ce moment, il est grave, parce que du temps, nous savons qu’il ne nous en reste plus beaucoup. Pendant que les forêts déjà souffrantes des Pyrénées Orientales brûlent des chaleurs hivernales, les scientifiques nous alertent sur la disparition des pollinisateurs d’ici la fin du siècle. La fin de notre agriculture. 

Ce moment, précis, donc, après 50 ans d’alertes, de luttes, de convergences, de désobéissance civile, de conquête du pouvoir, c’est celui où on a l’impression que le monde se dérobe sous nos pieds. L’Europe peut devenir demain une Union des nationalismes, la guerre n’a jamais été aussi proche de nous, l’état de droit, partout, se fragilise, le vivant s’effondre dans des proportions et à une vitesse jamais connues, l’emprise de multinationales toutes puissantes n’a jamais été aussi forte et les inégalités aussi abyssales.

En ce moment précis, chers amis, on aurait tôt fait de baisser les bras. 

Mais, chacun d’entre vous a décidé de faire exactement le contraire. 

Car ce moment, précis, après ces exacts 50 ans, est celui qui teste notre détermination – là où nos idées ont réussi à faire vaciller des dogmes bien établis, là où tout d’un coup, on parle de revenu paysan, on parle d’autres modèles à celui imposé par un libéralisme débridé, d’autres puissances: celle des gens, face à celle de l’agro-industrie. On parle des autres mondes : ceux des paysans, ceux qui sont loin des centres de décision, ceux dont on ne parle jamais. Et à ce moment précis, alors que nous n’avons jamais rien lâché dans notre histoire, car nous savons au fond de nous, que ce sera l’utopie, ou la mort, à ce moment précis, nous et nos luttes n’ont jamais été aussi essentiels. 

On m’a demandé, ce soir, de vous parler de ces autres mondes. Ces mondes loin des villes, sur lesquels on pose plein de fantasmes ou au contraire de pathos; ces mondes qui, nous disent les média français : ne veulent pas d’écologie. Je défends l’idée contraire. Que l’écologie est la meilleure alliée des ruralités. 

Et ça peut paraître un peu antinomique, tant les insultes pleuvent. Les postures se veulent dures face à des écolo-bobo-donneurs de leçons qui ne connaîtraient rien au “bon sens paysan” qui habite les campagnes de France. Certains voudraient les enfermer, ces campagnes, dans une sorte de “vraie France”, immuables, conservatrices, version “chasse, pêche, nature et traditions”, des campagnes où rien ne devrait changer. 

Dans la Drôme où je suis élue, les prix de l’immobilier et du foncier explosent et s’envolent, ne permettant plus aux enfants du pays de s’installer. Les services publics disparaissent, des bureaux de poste aux centres des impôts, qui doucement, migrent vers les villes. Les médecins manquent, les alternatives à la mobilité peinent à exister, face à un prix du carburant qui explose. Les violences faites aux femmes y sont effroyables, avec en France, 50% des féminicides qui ont lieu dans nos campagnes, alors que seulement ⅓ de la population y vit. 

Nous sommes déjà à 1,4°C de réchauffement. Maladies, insectes nuisibles, fortes chaleurs, sécheresse : les lavandes cet été sont tout d’un coup devenues grisâtres. On n’a pas pu les récolter. Ces 10 dernières années, les récoltes de lavande ont diminué de 40% par chez moi. 

L’histoire de mon territoire, c’est celui de beaucoup d’autres, de ces 88% de France où c’est un peu compliqué de se dire que nous comptons autant que ceux qui habitent les villes. 

Notre pays, comme d’autres, sans doute, fonctionne à deux vitesses : tandis que 35 milliards d’euros seront investis dans le Grand Paris Express, c’est seulement 30 millions – un peu plus d’1 euro par an par habitant, qui sont consacrés à la mobilité dans les campagnes. Et ça, c’est dramatique, on ne le sait que trop bien. Nous en avons marre de vivre sous cloche, ou d’être misérabilisés. Nous voulons des politiques climatiques et écologiques ambitieuses pour les ruralités, tout aussi ambitieuses que pour les villes ! 

Ce doit être aujourd’hui cela le discours des écologistes. En ville, comme à la campagne. 

Parce que l’écologie n’a de sens que parce qu’elle est pour toutes et tous. 

Parce que souvent, ces terres sont marquées par l’héritage de celles et ceux qui ont été à l’avant-garde des grandes transformations de notre pays.

Parce que c’est là que les révoltes naissent face aux fermetures des maternités, des hôpitaux, des services publics. Parce que c’est là qu’on est souvent écologiste sans le savoir, quand l’abandon de l’état a laissé la place à la débrouille. 

Parce que ça fait 50 ans qu’on l’a dans notre ADN. “Vivre et travailler au Pays”, c’est ce que nos aînés disaient au Larzac. Et ça, on ne nous l’enlèvera pas. 

Il y a donc une bataille à mener. 

Et la bataille sera rude. Et je nous sais prêts à l’affronter.

Nous aurons besoin de faire de la politique pour de vrai, de la belle politique, celle qui pose les vrais débats de société. Celle qui porte la voix de tous les territoires. Celle qui dénonce, celle qui régule, celle qui protège, face aux tenants de l’agro-business, face aux bétonneurs, face aux défenseurs de privilèges, et de l’accaparement des richesses et des ressources.

Pour tout cela, l’Europe est bien évidemment une solution. Elle est l’horizon de nos luttes, elle nous pousse à voir au-delà de nos pré carrés, de nos intérêts nationaux pour agir en commun face aux puissants. Elle est une addition à tout ce que nous sommes. 

J’ai eu la chance d’y grandir. Comme petite drômoise, certes, mais pas seulement. Car c’est dans cette si belle et grande famille écologiste Européenne que j’ai eu la chance de m’épanouir politiquement, de rencontrer des compagnons qui m’ont appris à comprendre le monde, lire ses failles, imaginer quel autre horizon y serait possible. Et, pas après pas, le construire. 

Ici, grâce à vous, grâce à Benoît, grâce à Marie, à Mélanie et Thomas, de cette Europe en devenir, nous en construisons une part, au travers d’une communauté soudée, qui s’organise politiquement, qui s’entraide, qui parfois a de grands désaccords, mais qui fait, je le crois sincèrement et j’y suis si attachée, avancer l’Europe vers le mieux, ensemble. 

Comme pour renforcer l’Europe, réparer la fracture territoriale chez nous passera par le fait de construire des ponts, réconcilier, sortir des postures, dialoguer : le défi est immense, mais ce n’est pas le genre de trucs qui nous fait peur. Car, comme au niveau Européen, on ira ensemble. 

Merci à toutes celles et ceux qui ont organisé cet événement qui nous rassemble  écologistes, progressistes, campagnards, ruraux, pecnos, ploucs de tous pays qui agissent au quotidien malgré les brimades, le mépris, les menaces, et qui font honneur au combat que nous portons pour la justice territoriale et environnementale et l’habitabilité de notre monde.

Vive les ruralités, vive l’écologie, vive nous et vive l’Europe !


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