Bonjour à toutes et tous,
C’est également pour moi un grand bonheur de vous voir toutes et tous ici à Coutances pour cette troisième édition des URE. Après deux premières éditions à Die et à Epinal, après trois ans de travail du groupe de travail sur les ruralités écologistes qui montre notre détermination sans faille à ancrer l’écologie dans les territoires ruraux, et les ruralités dans notre combat.
Je vous rassure, je vais essayer de faire court, d’abord parce que j’aurai l’honneur d’animer la plénière demain, sur ce que nous faisons, collectivement, des doléances, et de la colère des gens, pour la transformer peut-être en espoir pour demain; ensuite, parce que je suis consciente de parler juste avant une désormais candidate à l’élection présidentielle et que vous voudrez sans doute entendre ce qu’elle a à en dire, de nos campagnes.
Alors avant toute chose, je veux moi aussi remercier la ville de Coutances, et son maire pour leur accueil. Un immense merci également à Guillaume Hedouin, et à tous les normands pour ces belles journées, au cœur de la tempête, j’y reviendrai. Avant cela, je voudrais remercier tous les membres de la coordination de cet événement : merci à Antoine de la FEVE, merci David, cher collègue à l’Europe, pour l’organisation des Journées normandes de l’écologie qui se tiennent en simultané; merci à Guillaume et au groupe au Sénat, merci à tous les membres du Groupe de Travail sur les Ruralités Écologistes, qui font vivre les propositions et les actions des campagnes dans notre mouvement, c’est si précieux; et c’est grâce à vous que tout cela est possible. Vous remercier, vous toutes et tous, qui avez bravé les vents et les alertes SNCF pour rejoindre la côte normande : je vous souhaite de magnifiques journées, qu’elles soient inspirantes, enthousiasmantes, fertiles de rencontres et d’idées, pour que vous puissiez les essaimer absolument partout dans le pays.
Et puis j’ai oublié un merci : mais je voulais remercier aussi ici Marine, et les Écologistes, qui nous soutiennent depuis le début, et ce remerciement il est important parce que sincèrement, c’est si rare, les gens qui parlent des campagnes et qui s’y intéressent vraiment, c’est si rare que de voir un mouvement politique soutenir un événement politique à la campagne pour la troisième année consécutive. A l’heure où tout le monde parle au nom des campagnes pour y assigner des délires plus ou moins conservateurs et passéistes, de la France chrétienne éternelle et enracinée, à la vraie France, celle dont la vie sociale se résume à des foires au cochon en portant des bérets; oui, c’est important de voir notre mouvement non pas commenter en spectateur les campagnes et leurs habitants comme tant d’éditorialistes ou politiciens peuvent le faire de leur arrondissement parisien; mais oeuvrer en acteur, en permettant aux ruraux de définir leurs préoccupations, leurs espoirs; en nous permettant de nous rencontrer et de nous organiser collectivement, de prendre la parole, de prendre la place. Non pas en parlant pour nous, mais en nous laissant la place.
Cette place, j’essaie, humblement, avec mes collègues, de la cranter pour nous toutes et tous, sur les bancs de l’Assemblée Nationale. Cette place, nous la prenons ce week-end, à Coutances. Cette place, j’espère de tout mon cœur que nous pourrons la prendre chaque jour qui viendra, un peu plus, lors des élections municipales puis présidentielles qui suivront : pour ne plus jamais laisser d’autres parler en notre nom, mais juste prendre, notre juste place.
Notre juste place.
Quelle place à nos récits, à nos vécus, à nos réalités, quand on nous décrit comme étant tous agriculteurs, chasseurs, déconnectés, fans de tuning ou de musique country ?
Je trouvais intéressant le témoignage de Nadine, 60 ans, du Finistère, dans une grande enquête sortie cette année sur les campagnes: « On est soit les gentils arriérés qui cultivent la terre avec amour, soit les beaufs qui ne comprennent rien. Y’a jamais juste… Nous. ».
Cette étude, elle est intéressante. 81 % des ruraux interrogés y estiment que « Les habitants des villes ne comprennent pas ou ne respectent pas le mode de vie des habitants des campagnes ». Et pour 83% d’entre eux, « les médias et les politiques imposent souvent une vision caricaturale de la ruralité depuis la ville ». De plus, un tiers des ruraux estiment avoir déjà subi une discrimination due à leur origine territoriale et cette proportion monte jusqu’à 68% chez les jeunes. Et 81% des ruraux considèrent que ces dernières années, “les partis politiques ont accordé trop d’attention aux préoccupations des habitants des villes, et pas assez à celles des campagnes”.
La moitié d’entre eux considère qu’aucune des valeurs de la devise républicaine n’est bien appliquée.
Alors, il y a la fracture sociale. Celle qui se creuse dans tout le pays, et qui fait qu’aujourd’hui on n’a jamais compté autant de personnes en situation de pauvreté depuis qu’on le calcule. Le taux de pauvreté en milieu rural est en moyenne supérieur à celui en milieu urbain, où l’on va faire des études supérieures et trouver des emplois de cadres, qui existent moins à la campagne – quand il y reste du travail. Il y a la moindre qualité de logements parfois vieillissants, la précarité énergétique, le maintien compliqué des personnes âgées à domicile, les services publics et les ressources institutionnelles qui s’éloignent, la concentration des services et des soins, les difficultés de l’installation agricole, et puis l’isolement, face auquel on s’organise pour résister à la misère et éviter de rentrer dans une logique d’assistanat, mais qui ne fait que nous enfermer dans une pauvreté silencieuse, une absence de lien social. L’assignation à résidence.
Mais il y a aussi toutes les formes d’humiliations, dont les mandats Macron ont sans nul doute été la plus grande incarnation. L’humiliation d’être de “ceux qui ne sont rien”, de ne pas avoir ce qui est considéré comme le bon niveau académique, pour beaucoup de gens qu’on orientera moins vers des études supérieures, loin de chez soi. L’humiliation de ne pas avoir de bons niveaux de salaires, celle de ne pas avoir de commerces, de services à proximité. D’avoir moins accès à ce qu’on appelle la “grande culture”, de lire dans télérama ou d’écouter sur France Inter l’annonce de spectacles qu’on ne pourra jamais voir au vu de la distance. D’être vu tantôt pour des péquenauds, tantôt pour des beaufs, de faire peur aux élites parisiennes dès lors qu’on enfile un gilet jaune sur un rond point. De savoir avoir une espérance de vie de deux ans plus courte que les habitants des villes, faute d’accès aux soins préventifs. De devoir prendre sa caisse, et d’y passer des heures, des kilomètres et beaucoup de fric, tout simplement parce que bien souvent, on n’en n’a pas le choix, mais d’être parfois jugé pour cela; de souvent devoir faire autant avec moins, de se débrouiller par soi-même ou de manière collective, pour traverser les tempêtes.
J’y reviens : sur les manières d’affronter les tempêtes.
On y est en plein dedans, au sens propre comme au sens figuré. Dans sans nul doute la plus grande tempête qu’on ait jamais connu. De l’Amérique de Trump aux vents violents venus de Hongrie, d’Italie, de Russie, d’Israël, partout les nuages s’amoncellent et le ciel est effrayant. Chez nous, la coalition des droites se forme, plutôt Hitler que le Front Populaire, selon la formule, sous l’œil bienveillant de conservateurs fortunés qui financent média, fêtes de villages soit-disant tradi réécrivant qui nous sommes. Petit à petit, on ne sait plus qui croire, des fake news en direct sur CNews à l’IA qui envahit tout, se bâtit la défiance, la méfiance, dans un Etat de droit arbitraire selon que l’on soit puissant ou vulnérable; les solidarités se délitent, seul le mérite individuel compte : et tous ceux qui sont laissés sur le bas côté d’un progrès inaccessible se rattachent à une identité fantasmée et une fierté qu’ils peuvent concrètement toucher : au moins, ils sont blancs, ils sont chrétiens, ils sont français, parfois même, ce sont des bonhommes, et ça, c’est quelque chose qu’on ne leur enlèvera pas.
Alors, on peut penser comme Edouard Louis, qui disait cet été que “les personnes qu’on croise dans les grandes villes, par rapport au reste du pays, sont beaucoup plus progressistes. J’ai toujours rêvé d’un régime politique alternatif, dans lequel les villes et les campagnes auraient des gouvernements différents. Pourquoi Paris, Athènes et Berlin n’auraient-elles pas un seul et même gouvernement, et la campagne française et la campagne grecque un autre gouvernement, si les campagnes votent à droite et les villes à gauche ? Pourquoi est-ce que les villes devraient souffrir du racisme du reste du pays ? Bon, je sais que c’est une utopie absolue – mais j’y pense souvent. »
On parlait du mépris… Et sans nul doute de l’aboutissement caricatural du rapport de Terra Nova de 2011, qui conseillait à la gauche de ne plus chercher le vote des ouvriers et employés pour se tourner vers une nouvelle majorité urbaine, avec d’autres engagements plus axés sur les droits des minorités.
Je crois au contraire, que les visions et aspirations des ruraux ne sont pas si différentes de celles du reste du pays; que globalement, nous restons satisfaits de nos vies, demeurons inquiets de l’avenir du pays – qui ne le serait pas – que nous voulons une France plus respectueuse de l’environnement, humaine et juste que ce qui nous anime, n’est pas tant une fracture entre villes et campagnes, espaces dans lesquels tant d’entre nous naviguons, mais entre les plus fortunés, et les plus pauvres.
À l’heure des transitions écologiques, de la relocalisation et de la quête d’autonomie, oui, nos campagnes sont porteuses de solutions concrètes. Elles sont là, dans les milliers de solidarités informelles qui se tissent, l’accueil inconditionnel, le soutien aux plus vulnérables, les projets d’économie sociale et solidaire, et culturels, la protection du vivant. Ici dans ce bocage, on a reclassé une route départementale en véloroute, on y a abandonné un projet routier inutile, on y porte des événements culturels qui rassemblent et disent autre chose de notre identité.
Ce que les ruraux expérimentent depuis longtemps par nécessité — faire avec moins, trouver des réponses efficaces et sur-mesure, coopérer localement —, ce sont peut-être, oui, les meilleures solutions face aux tempêtes. Et on le voit partout : ces derniers temps, avec les volontaires du groupe de travail sur les Ruralités Écologistes, nous sommes allés à leur rencontre – pour un super livret que vous aurez je l’espère bientôt entre les mains : pour l’accès à la mobilité pour toutes et tous, l’autopartage se démocratise, comme aux Sorbiers dans les Hautes-Alpes, pour la transition énergétique, des centrales villageoises se montent aux quatre coins du pays, pour la démocratie alimentaire, la sécurité sociale de l’alimentation prend de l’ampleur à Dieulefit dans la Drôme ou encore à Cadenet dans le Vaucluse, à Mittainville dans les Yvelines, la commune a rénové et mis à disposition deux logements pour les femmes victimes de violences en milieu rural, à Aurignac en Haute-Garonne, un café associatif accueille tous les publics pour des activités culturelles et sociales.
Ce sont dans toutes les petites villes et sous-préfectures, que des milliers de personnes se sont révoltés, dans cette France habituellement silencieuse, contre la réforme des retraites, contre les fermetures de maternités, de services publics : partout dans le pays, encore aujourd’hui, c’est dans les fameux territoires de sous-préfecture que les révoltes se nouent. C’est aussi ici, comme ailleurs, que les gilets jaunes se sont constitués, répondant à des mesures injustes venues de technos parisiens. Ils ont écrit des millions de pages de doléances, avec autant de pistes pour la justice environnementale, la réduction de la fracture territoriale, le renouveau démocratique, que le gouvernement se sera empressé d’enfouir dans les archives départementales.
Depuis trop longtemps, la politique nationale s’éloigne du réel. Notre position, ici à travers ces Université des ruralités écologistes : c’est faire le chemin exactement inverse.
Alors, face aux vents furieux de la tempête qui fait rage, je nous souhaite, ici, et demain, dans les 30 772 communes rurales qui composent notre pays, de prendre toute la place.
Que Vivent nos campagnes, vivent nos villages et vive les Universités des Ruralités Écologistes !

