Bienvenue à toutes et tous !
Je suis un peu émue de vous voir, de vous revoir toutes et tous aujourd’hui. Je suis émue non pas parce qu’on a réussi, collectivement, à faire venir près de 400 personnes à Épinal dans les Vosges un week-end d’automne ! Mais parce que se revoir, un an après la première édition des Universités des Ruralités Écologistes à Die, dans la Drôme, que nous avions initié veut dire beaucoup, de notre détermination sans faille à ancrer l’écologie dans les territoires ruraux et les ruralités dans notre combat; cela veut dire beaucoup de notre résilience, de notre cohérence, de notre constance : quand d’autres font des jolis discours sur des bottes de foin, pour ensuite oublier totalement les sujets agricoles, nous restons toujours mobilisés. Quand d’autres s’émeuvent d’un féminicide, pour ensuite dérouler des discours racistes et anti-immigration, nous restons toujours mobilisés. Quand d’autres disent leur attachement aux services publics pour ensuite nous dire qu’il faudrait les fusionner encore plus que nos petites agences france service rurales, nous restons toujours mobilisés. Quand d’autres s’émeuvent du manque de transports publics dans certains territoires, pour n’y proposer que des 2×2 voies dans tous les sens, nous restons toujours mobilisés. Quand d’autres jacassent sur le manque de revenus des agriculteurs, pour ensuite avoir piscine le jour où l’on vote les prix rémunérateurs en agriculture, nous restons toujours mobilisés. Quand d’autres disent que l’éducation est une priorité nationale, pour ensuite supprimer 4000 postes et tant de classes, nous restons toujours mobilisés.
Et quand, d’autres, beaucoup d’autres, s’émeuvent de la fracture territoriale qui se creuse, de 2 France qui se regardent et qui n’auraient plus rien en commun, pour faire leur beurre électoral sur le ressentiment, la fierté qui s’étiole, la peur du lendemain, l’injustice : nous restons toujours mobilisés. Un an plus tard, l’écologie rurale et populaire est toujours là.
Elle était là l’an dernier à Die, et je veux le redire : l’immense fierté que d’avoir pu participer à l’initiation et l’organisation de ces premières journées, qui font des petits aujourd’hui. Les immenses remerciements que je dois à toutes celles et ceux qui ont fait naître un tel événement, et à celles et ceux qui en cultivent la suite. On aurait pu choisir la solution de facilité, s’installer ad vitam eternam dans la vallée de la Drôme, dans la seule sous-préfecture de France, Mesdames et Messieurs, où Marie Toussaint et la liste écologiste aux Européennes arrive en tête le 9 juin dernier.
Mais, chers amis, il y a un S à ruralités, et il n’est pas là pour rien. Ces 88% de territoire, où tant s’y joue, où vivent ⅓ des françaises et des français, dans ce “tout ce qui n’est pas la ville”, ils ne sont pas homogènes : c’est pas la vieille France étriquée, c’est pas le bloc conservateur, ni l’idée d’un bon sens paysan faisant écho à la folie multiculturelle et woke des grandes villes, c’est pas, non plus, des terres perdues pour la République, où l’on “perdrait notre temps”. Ces territoires, et leurs habitants, vivent des problématiques communes, des galères en commun, abritent aussi des luttes et des révolutions en partage. Mais les ruralités sont plurielles, et je suis si heureuse que cette deuxième édition se tiennent ici, à Épinal, dans les Vosges, et qu’on puisse en dessiner un autre regard.
Aussi, je veux ici dire merci à la ville d’Epinal et à son maire Patrick Nardin pour son accueil. Merci à Lou, merci à Améris pour leur travail tous ces derniers mois. Merci à la team ruralités écologistes, ce groupe de gens géniaux de plein de villages différents, qui depuis 2022 font vivre ces idées au sein de la grande famille écologiste, et aident à porter ces événements : je crois que beaucoup d’entre vous en êtes déjà, si vous ne l’êtes pas venez me voir et je vous ajoute ! Merci à tous les bénévoles, qui permettent la réussite de ces journées. Merci également, à tous les partenaires de cet événement : la FEVE, à la Fondation de l’écologie politique, à la délégation écologiste au Parlement européen, aux Jeunes Écologistes. Merci aux Écologistes, plus globalement, et à Marine Tondelier, secrétaire internationale comme on t’appelle par chez nous, pour ton soutien indéfectible à notre démarche, et de construire avec nous, jour après jour, l’écologie politique comme premier parti des ruralités. Bon, y’a encore du chemin, mais je crois qu’on est sur le bon; et ça, c’est vous qui nous le prouvez, par votre présence nombreuse aujourd’hui et tout au long du week-end qui s’annonce si riche : merci à toutes et tous !
Ce que nous disons aujourd’hui, c’est que non, il n’y a pas de fracture entre les territoires ruraux et l’écologie. Alors oui, il est devenu coutume, des Macronistes au RN en passant la droite, de répéter à tout va que nous ne comprenons rien à la vraie vie des gens, au travail, que nous n’aimons pas la France et ses ruralités. Tout ceci est de la vile propagande électoraliste de bas étage, du mensonge dangereux et méprisant pour les ruraux eux-mêmes, et tout bonnement faux. Et nous sommes tellement nombreuses et nombreux à le montrer tous les jours, loin des plateaux télé parisiens.
Nous sommes si nombreux à nous engager pour une politique véritablement et radicalement ambitieuse dans nos campagnes, tandis que celles et ceux qui sont au pouvoir depuis 7 ans, et celles et ceux qui les y aident, n’ont abouti qu’à un plan France Ruralités pourvus de seulement quelques millions d’euros, d’une centaine de chefs de projet, de quelques médico bus et des aides pour entretenir les monuments aux morts, en se disant “voilà une bonne chose de faite”.
Quel mépris. Quel mépris que ces insultes qui pleuvent contre des soit-disant écolo-bobo-donneurs de leçon, qui ne connaîtraient rien au “bon sens paysan” qui habite les campagnes de France. Certains voudraient les enfermer, ces campagnes, dans une sorte de “vraie France”, immuables, conservatrices, version “chasse, pêche, nature et traditions”, des campagnes où rien ne devrait changer. En oubliant leur histoire : car souvent, ces terres sont marquées par l’héritage de celles et ceux qui ont œuvrés successivement pour la République sociale, elles ont été à l’avant-garde des grandes transformations de notre pays. Et on voudrait en faire des territoires perdus pour la gauche et l’écologie.
Ceux-là mêmes qui nous insultent et nous méprisent voudraient nous faire croire qu’ils sont nos plus grands défenseurs. Alors même que ni leurs propositions, ni leurs politiques, rien de tout ça ne permettent d’endiguer les prix de l’immobilier, de contenir l’explosion du foncier, de permettre aux enfants du pays de s’installer. Alors même qu’ils ont voté contre toute augmentation du SMIC, contre toute indexation des salaires ou des retraites sur l’inflation tout en prétendant défendre la valeur travail. Alors même qu’ils coupent les budgets pour les maisons france service, le maillage postal, la rénovation des gendarmeries, et refusent même l’idée de brigades itinérantes de gendarmerie pour recueillir la parole des femmes victimes de violences en ruralités. Alors même qu’ils votent contre l’obligation de viande française dans nos cantines tout en se disant être les meilleurs amis des agriculteurs.
Ils disent aimer la France alors qu’ils ne font absolument rien pour renforcer l’unité de notre communauté de destin – la communauté nationale, pour la défendre dans toute sa diversité, pour arrêter de la fracturer, pour la protéger du dérèglement climatique préférant dessiner une France divisée entre woke islamogauchistes et mondialistes et un bon sens paysan ancré dans la terre. Le pire, mes chers amis, c’est que je n’exagère même pas, et que ces outrances sont répétées à l’envi sur toutes les chaînes de télévision. Cette fracture, absurde, dessine des perdants, des gagnants. Alors à l’heure où on entend tout sur les dangers de la radicalité et de l’extrémisme, je crois que le vrai extrémisme, c’est d’accepter ces camps qui se dessinent, cette polarisation dangereuse, cette fracturation de notre communauté de destin.
Tout cela est nourri. Nourri du démantèlement de nos services publics, où les fusionner plus encore, comme nous le martèle Michel Barnier, n’est plus possible dans les agences France Services de nos territoires. A Saint-Nazaire-le-Désert, dans la Drôme d’où je viens, dans une agence co-portée par la poste, la commune et une association locale, c’est dans 40m2 qu’on trouve pour toute la vallée de la Roanne l’accès à la CAF, à France Travail, au trésor public, la CPAM, la MSA, l’assurance retraite, France Renov’, l’agence postale, l’office de tourisme, la bibliothèque, l’aide informatique, le service de navettes, et même un petit mètre carré pour la télémédecine – vous savez ce concept où on s’auto-diagnostique tout seul devant un écran avec un médecin à distance. L’État s’est désengagé. Et c’est un choix politique.
Tout cela, c’est aussi nourri du manque de médecins, premier mal et première insécurité dans nos villages et cette promesse Républicaine de l’accès aux soins pour tous qui s’étiole et laisse des traces indélébiles sur le territoire. Notre proposition de loi, transpartisane, engagée depuis deux ans et appelant à une régulation et des moyens appuyés pour lutter contre les déserts médicaux, a été rejetée par le RN, et tout un pan de la Macronie et de LR. L’État s’est désengagé. Et c’est un choix politique.
C’est nourri des déplacements qu’on ne fait plus, car ça nous coûte bien trop cher à l’heure du carburant à 2 euros le litre. Ce sont ces chiffres effroyables, cette réalité qui nous éclate à la figure, celle qui veut que 50% des féminicides ont lieu sur nos territoires, alors que seulement ⅓ de la population y vit.
C’est aussi la mise en place d’une France à 2 vitesses dans nos choix de mobilités : tandis que dans les métropoles nos concitoyens ont le choix du vélo, de la marche, des transports en commun, tandis que 35 milliards d’euros seront investis dans le Grand Paris Express, c’est aujourd’hui seulement 30 millions – un peu plus d’1 euro par an par habitant, qui sont consacrés dans le plan France Ruralités à la mobilité dans les campagnes, laissant la gestion d’un service public absolument essentiel… à des associations de bénévoles.
C’est le flou sur l’avenir de l’école et notamment le silence sur les projets de fermetures massives qui inquiètent nos mondes ruraux déjà largement sacrifiés sur l’autel de la rationalisation.
C’est un simulacre de démocratie, encore très récemment illustré par la proposition de Michel Barnier d’organiser régulièrement une journée nationale de consultation citoyenne alors même que toutes les doléances de cette fameuse “France périphérique” sont aujourd’hui à la disposition des pouvoirs publics pour peu que l’Etat accepte de rendre publiques. Sur des sujets aussi variés que les mobilités, les services publics, la justice fiscale et sociale, l’augmentation des salaires, la dignité humaine, la transition écologique juste, l’accès aux soins, le retour de l’ISF, le RIC… C’est un véritable programme de gouvernement, qu’on a archivé. Une promesse non tenue, une de plus..
C’est l’abandon d’une jeunesse qui ne se voit pas offrir les opportunités à la hauteur de ses aspirations. Je le dis, en tant qu’une des seules de mon village drômois a avoir pu poursuivre une licence, et jamais j’aurais pu imaginer en devenir la députée, tant j’étais loin de ces grandes écoles et de ces codes. Les jeunes des territoires ruraux n’ont pas les mêmes chances que les urbains : accès à l’éducation supérieure, mobilité, accès à la culture, sentiment d’infériorité… Pourtant cette jeunesse, qui ne se reconnaît pas toujours dans cette “génération climat” qui a déferlé dans les rues des grandes villes, rêve aussi d’un autre avenir et est attachée à son territoire.
Tout cela, et tant d’autres éléments encore, chers amis, qui sont ceux qui définissent la fracture territoriale, sont le fruit de choix politiques.
Des choix politiques, au détriment de nos vies, de nos réalités quotidiennes, dont ils se fichent bien, puisqu’ils en récoltent la colère et le ressentiment.
Chacun, chacune d’entre nous a vécu dans sa chair l’enchainement des campagnes de ce printemps et de ce début d’été. Chez moi, comme chez d’autres, le RN a accumulé les suffrages. Plus 23 000 en deux ans. Ces bulletins dans l’urne, ils disent qu’ils attendent plus rien de la gauche, de l’écologie, et sans doute de la politique en général. On y a notre part de responsabilité : la gauche quand elle a gouverné, l’écologie quand elle s’érige de manière descendante, la politique quand elle ne tient pas ses promesses et qu’elle ne considère pas tout le monde avec le même respect.
Alors nous réparons, chaque jour, et nous continuerons à réparer, la fracture qui s’installe en construisant des ponts, en réconciliant, en écoutant, en considérant, en sortant des postures, en dialoguant, toujours. Et même si on est les seuls à le faire, on continuera. En ne lâchant rien à nos convictions. Ça passe aussi bien sûr par des moyens : sur l’accès au logement, sur la planification écologique pour ne pas laisser les territoires ruraux sur le palier, sur l’installation paysanne alors que 50% des agriculteurs partiront à la retraite dans 10 ans, sur la préservation de la biodiversité et de nos forêts qui façonnent nos paysages – et je dis ça ici dans les Vosges, le troisième département le plus boisé de France, sur des politiques climatiques et écologiques ambitieuses pour les ruralités, tout aussi ambitieuses que pour les villes !
Ce doit être cela aujourd’hui le discours des écologistes. En ville, comme à la campagne. Car l’écologie n’a de sens que parce qu’elle est pour toutes et tous.
Notre devoir, et j’insiste sur le fait que c’est un devoir, pour nous, militantes et militants écologistes, c’est d’opposer à ce déterminisme qui s’installe d’autres choix politiques, pour nos ruralités.
Des choix politiques différents, que nous portons en héritage : Loin de la logique de centralisation métropolitaine, ça fait 50 ans qu’on l’a dans notre ADN. “Vivre et travailler au pays” : c’est le slogan du Larzac, et ça, on ne nous l’enlèvera pas. Loin des discours misérabilistes, de ceux qui dépeignent une ruralité pauvre, à l’abandon, nous, Écologistes, le disons haut et fort : ces territoires n’ont pas besoin d’être sauvés. Ils ont besoin que leurs initiatives soient soutenues, entendues, considérées. Car c’est dans ces territoires que se joue notre avenir, celui de notre pays. Nous ne le savons que trop bien. Car ces choix politiques différents, nous les faisons, partout où nous oeuvrons, partout où nous sommes en responsabilité. Oui, les écologistes sont, depuis longtemps et pour encore longtemps, pleinement, partie prenante de la vitalité et de l’avenir de nos territoires.
- en proposant la régulation de l’installation des nouveaux médecins et en démocratisant les études médicales, pour lutter contre la désertification médicale,
- en développant l’offre de transport ferroviaire, de TER et de mobilités alternatives (bus, navettes, transport à la demande, covoiturage) pour notre droit à la mobilité rural,
- en incitant à la rénovation des centres bourgs et d’habitats déjà construits plutôt que l’émiettement de périphéries urbaines en vastes zones commerciales et résidentielles,
- en réglementant les meublés touristiques, les maisons secondaires et l’arrêt de la airbnbisation de nos villages touristiques,
- en revalorisant le statut des sapeurs-pompiers volontaires,
- en investissant dans les gendarmeries de proximité,
- en luttant contre la fermeture de classes dans nos petits villages
Mais il n’y a pas que ça : à Dieulefit, dans la Drôme, s’expérimente la sécurité sociale de l’alimentation, dans les petites communes des Baronnies Provençales on enseigne l’occitan aux enfants, à Trélazé dans le Maine-et-Loire, le garage solidaire Solidarauto s’engage pour l’accès à la mobilité pour toutes et tous, à Mouans-Sartoux dans les Alpes-Maritimes la restauration scolaire a atteint 100% de bio sur impulsion de la mairie, dans la Manche à Saint-Sauveur-Villages, on reclasse des routes départementales en voies vertes, dans le Haut-Rhin, la petite commune d’Ungersheim est presque autosuffisante en énergie grâce à l’installation de la plus grande centrale photovoltaïque d’Alsace sur toitures sur des friches industrielles.
On leur expliquera, là haut, que “faire beaucoup avec peu”, c’est ce qu’on fait depuis toujours dans nos campagnes, et que même si ce serait bien qu’on ait un peu plus, on continuera à les faire vivre, et à y cultiver l’avenir qu’ils ne veulent pas voir advenir.
Partout, les écologistes vivent, travaillent, bâtissent, luttent et agissent. Ils le font avec un courage et une détermination formidable, qui force l’admiration. Parce que se battre pour un autre modèle agricole, c’est affronter les géants de l’agro-business, qui ont pu sortir tant d’agriculteurs de la pauvreté il y a des dizaines d’années, mais qui aujourd’hui détruisent les conditions même de leur existence. Se battre pour la protection de la biodiversité et le mieux-vivre dans nos villages, c’est faire face aux lobbies du BTP qui ont monté tout leur business model sur le clientélisme et la bétonisation des périphéries urbaines, des parkings, des zones commerciales et pavillonnaires sur des hectares de terres naturelles ou agricoles. Se battre pour l’égalité des droits, c’est se battre contre une logique de métropolisation, de centralisation et d’aménagement du territoire qui ont gouverné ce pays depuis 50 ans, pour faire revenir les services publics, les commerces de proximité, rouvrir les classes, réinstaller des médecins, rénover les centre-bourgs, bâtir des habitats collectifs, faire vivre les liens intergénérationnels.
Nous n’avons pas le droit de ne pas mener ces batailles, et je nous sais prêts à le faire. Alors, faisons de la politique pour de vrai, de la belle politique, celle qui est rugueuse car difficile, celle qui pose les vrais débats de société.
Je vous remercie encore pour tout votre travail acharné, merci aux écologistes, aux progressistes, aux campagnards, aux ruraux, aux pecnos, aux ploucs, qui agissent au quotidien dans tout le pays, malgré les brimades, le mépris, les menaces, et qui font honneur au combat que nous portons pour la justice territoriale et environnementale et l’habitabilité de notre Terre.
Bonnes Universités des Ruralités Écologistes à toutes et tous !
Marie Pochon