Bonjour à toutes et à tous,
C’est un honneur de vous recevoir aujourd’hui à l’Assemblée nationale.
Merci d’être aussi nombreuses et nombreux dans cette salle, agriculteurs, apiculteurs, acteurs de la transformation et de la distribution, responsables associatifs, chercheurs, et élus; pour ce colloque “Agriculture et protection des pollinisateurs : comment (ré)concilier les intérêts de tous ?”. Un merci particulier à l’association Beefriendly qui fête ses 10 ans – bon anniversaire ! – et en particulier à Amélie Bajolet pour l’organisation.
C’est un honneur de vous accueillir dans cette assemblée nationale, dans une période pourtant bien singulière. Singulière des colères agricoles, des prix qui se tendent, des campagnes qui se vident. Singulière, aussi, des crises inflationnistes, du bien manger qui s’éloigne pour tant de gens, des problèmes sanitaires que cela creuse. Singulière, enfin, de cette fracture que tant nourrissent entre écologie et agriculture; de l’effondrement des populations de pollinisateurs, d’oiseaux dans nos champs, de l’affaiblissement, ces derniers temps, ces dernières heures, même, des outils que nous avons à notre disposition pour protéger le vivant, du silence dans nos campagnes.
Pourtant, l’effondrement du vivant est aussi la cause d’une perte croissante de rendements. Et cet effondrement s’accélère : 70% des insectes ont disparu en Europe depuis 40 ans. Les scientifiques nous alertent sur leur disparition totale d’ici la fin du siècle. Un tiers de la production alimentaire mondiale dépend des pollinisateurs. Parmi ces pollinisateurs, on compte environ 20 000 espèces d’abeilles, dont 850 sont présentes en France. Depuis 2013, nous savons que le taux de mortalité des abeilles mellifères en France dépasse régulièrement les 30% chaque année.
C’est tout simplement vertigineux.
Parmi les agricultrices et agriculteurs touchés directement par l’hécatombe du vivant, se trouvent donc notamment les apiculteurs, qui ont lancé l’alerte sur la crise qu’ils traversent, sans être entendus à la hauteur de l’enjeu. Du fait du changement climatique et de l’utilisation des pesticides dont l’impact est dramatique pour la santé des abeilles, leur production est directement menacée.
La cause des ces constats dramatiques sur l’effondrement de la biodiversité est bien connue : c’est en immense partie du fait de l’usage massif d’intrants chimiques et de pesticides. Pourtant, l’année 2024 a été marquée par des reculs majeurs en la matière, en premier lieu en affaiblissant le plan Ecophyto, bien loin des recommandations scientifiques qui devraient pourtant guider toutes nos politiques publiques; et je ne parlerai pas des 2e et 3e lieux, des débats qui animent en ce moment le pays sur le devenir de l’OFB, de l’Ademe ou de l’agence bio; bientôt de Météo France, l’INRAE et le CNRS..
Casser les thermomètres.
Malgré les impératifs de santé publique, de qualité de l’eau; malgré la qualité de nos productions agricoles et leurs cahiers des charges ambitieux et vertueux qui font la fierté de notre “ferme France” et donnent un sens, une considération, et une valeur “économique” aux milliers d’agriculteurs qui se sont engagés et qui continuent à s’engager vers des démarches agro-écologiques et bio.
Malgré les impératifs d’atteinte de la souveraineté alimentaire; malgré l’enjeu impérieux de protection des pollinisateurs. Ces difficultés, nous devrions les traiter avec le plus grand sérieux, car elles engagent notre avenir à toutes et tous, au travers de l’insécurité alimentaire qu’elles sont amenées à provoquer : oui, la bonne santé de l’apiculture française est un thermomètre de notre capacité à produire notre alimentation, demain; un thermomètre de notre sécurité et de notre souveraineté alimentaire. Lorsque les abeilles vont mal, c’est toute la production alimentaire et le vivant qui est menacé.
Et si cet effondrement des populations de pollinisateurs ne suffisait pas, les apiculteurs subissent aussi de plein fouet les choix de certains négociants français qui préfèrent acheter des miels importés, à des prix défiant toute concurrence face auxquels nos apiculteurs français ne peuvent être compétitifs. Ces miels d’importation se vendent environ 2€/kg contre 7 à 9€ le kg pour le miel français. En 2023, 63% d’entre eux ont eu du mal à vendre leurs récoltes, malgré une demande de miel estimée à 45 000 tonnes.
46% de ces miels importés en Europe sont suspectés d’être frauduleux : le miel ne serait pas pur, mais coupé avec des sirops de sucre à base de riz, de blé ou de betterave sucrière. C’est ce qu’a révélé un rapport de la Commission européenne en mars 2023.
En février dernier, le Ministre de l’Agriculture de l’époque présentait donc aux représentants de l’interprofession apicole le plan d’action du Gouvernement face à la crise apicole, proposant des aides d’urgence aux apiculteurs, sans toutefois doter la DGCCRF des moyens humains et financiers nécessaires pour renforcer la traçabilité et la transparence pour le consommateur par un étiquetage clair, et lutter contre les fraudes en contrôlant systématiquement les miels dès leur entrée sur le territoire. En 10 ans, les effectifs de cette même DGCCRF, en charge du contrôle de la concurrence et de la répression des fraudes, ont été réduits de plus de 10%.
Pour protéger l’agriculture française, les solutions existent pourtant :
- En premier lieu, donner aux agriculteurs une vraie visibilité sur le long terme sur la sortie des pesticides. Cela veut dire garder le cap, et ne tolérer aucun recul en matière de réduction des pesticides sous la pression des lobbies. Et également conforter l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) dans son rôle ;
- Cela veut dire également, et cela va de pair : Rémunérer les pratiques agricoles vertueuses et ne pas laisser les agriculteurs et agricultrices seuls face au poids de la transition agroécologique ;
- Cela veut aussi dire : Sortir l’agriculture des accords de libre-échange pour lutter contre la concurrence déloyale, mettre les moyens nécessaires sur la DGCCRF; et assurer, au niveau européen également, des mesures de transparence et de régulation du marché, en intensifiant les contrôles des miels au frontière de l’UE et en assurant une transparence totale des pays d’origine et des pourcentages dans l’étiquetage des miels ;
- C’est enfin, Garantir un revenu digne, en garantissant que les prix d’achat des produits agricoles ne puissent plus être fixés en dessous du coût de production qui intègre la rémunération ;
- Et Faire de la transition agroécologique une priorité en termes budgétaires et d’accompagnement.
C’est maintenant que se joue la possibilité même de produire demain.
Mesdames et Messieurs, c’est un honneur de vous accueillir aujourd’hui, et de faire de cette assemblée une ruche bourdonnante d’idées et de propositions pour l’avenir de l’apiculture, et de notre agriculture de manière générale. Merci encore à tous les participants et les intervenants de ce colloque, et à Beefriendly, pour cette initiative que j’accompagne avec fierté. Je nous souhaite de bons échanges !