MON DISCOURS LORS DU COLLOQUE SUR LES DOLEANCES

C’est un honneur de vous recevoir aujourd’hui à l’Assemblée nationale, la maison du peuple, et ça a tout de symbolique.

Merci d’être aussi nombreuses et nombreux dans cette salle pour ce colloque “Réparer la fracture démocratique : l’urgence de publier les doléances du Grand Débat National”. Un merci particulier à Hélène Desplanques, réalisatrice du film Les Doléances et Fabrice Dalongeville, maire d’Auger Saint Vincent, au-delà d’être le personnage principal du film, avec qui nous travaillons depuis des mois sur le sujet qui nous réunit aujourd’hui. Bien évidemment merci également à Gilles, et Éléonore, que vous rencontrerez tout à l’heure, et à Clothilde, de mon équipe, pour avoir tout si bien organisé. 

Alors, c’est symbolique à plus d’un titre, que de vous reçevoir dans cette assemblée. Vous l’aurez constaté, ce colloque arrive dans un moment particulier de la vie politique française, quelques jours seulement après une censure du gouvernement, quelques mois après une dissolution de l’Assemblée nationale, le jour même ou, peut être, ce soir, un nouveau Premier Ministre sera nommé, dans un contexte de fracture territoriale et de fracture démocratique inédit. C’est un moment politique difficile et grave : de ceux où l’on sent, au fond de nous, l’incompréhension se mêler au mépris, le chaos laisser la place à la confusion générale, celle des front républicains qui ne semblent avoir aucune valeur, celle des promesses refoulées, de la mise en spectacle des débats parlementaires aux plateaux TV et fils twitter contrôlés par un suprémaciste américain, celle où le pouvoir qu’on laisse à un seul homme, un seul homme, que d’organiser le chaos total de notre pays laisse place, doucement, insidieusement, à l’anti-parlementarisme, à la mise en doute de l’état de droit et de la séparation des pouvoirs. C’est un de ces moments où l’on sent, un peu, que demain ne peut sans doute n’être que pire qu’hier. Et, en réflexe, on regarde celui plus bas que soi, qui menacerait le peu qu’on puisse avoir, on réclame l’ordre, l’ordre, l’ordre, comme si tant de chaos n’allait se régler par encore plus d’autorité, d’omnipotence, par plus de verticalité : comme si les jours heureux adviendraient de ceux qui les ont rendus si difficiles.

Là voilà, la grande confusion dans laquelle nous sommes. Et tout cela est grave, tout cela est tragique : parce que ce sentiment, profond, qui se répand tout doucement dans notre société, il a des racines. Ce sont celles de millions d’espoirs qu’on a éteint, les uns après les autres, qui font qu’on n’y croit plus, que tout ce cirque, là-haut, nous concerne pas, parce que finalement, qui s’intéresse bien à ce qu’on peut dire, à ce qu’on peut vivre. 

Ce sentiment, il a des racines : et je crois profondément que celles-ci se nichent dans ces dizaines de milliers de doléances qui nous rassemblent aujourd’hui. C’était il y a 6 ans, de l’époque de la mobilisation des gilets jaunes, entre la fin 2018 et début 2019, lorsqu’une France, celle qu’on entend jamais, qui se mobilise pas, qui trime en regardant le soir sur BFM le CAC40 exploser, ou les affaires judiciaires de quelques politiciens, a commencé à écrire. C’est un moment particulier, que celui ou d’un coup, alors que la répression faisait rage et que le palais présidentiel était fermé, des milliers de mairies ont ouvert des cahiers citoyens, dans tout le pays, loin du centre des grandes villes. Plus de 19 000 cahiers seront ainsi noircis des colères, des espoirs, des histoires de vie, des préoccupations et des propositions de nos concitoyens souvent les plus éloignés de ceux qui en décident pourtant.

Des cahiers, qui, malgré la promesse présidentielle, ne seront jamais rendus publics. On les trouve dans les archives, parfois encore dans les tiroirs des mairies, l’autre jour par chez moi on les a retrouvées à la sous préfecture. Et je dois vous dire ici que quelques centaines d’entre eux sont là, ici-même à l’assemblée nationale, personne ne sait trop où : ils avaient été remis en 2019 au Président de cette assemblée par des maires ruraux, on a depuis interrogé les archives, la présidence, j’ai même eu hier Richard Ferrand au téléphone, qui me parlait de cette clef qui avait été échangée à l’époque, comme “solde de toute cette affaire” : “je ne les ai pas emportés avec moi, ils doivent être quelque part par là” me disait-t-il. 

Un “Trésor National”. C’était le nom que leur avait donné Emmanuel Macron. 

C’est le nom que nous continuons à leur donner. De ces archives se nouent les racines de ce que nous vivons aujourd’hui, mais également les solutions. Alors qu’on peine, ici même, à définir le “socle” qui devrait être celui d’un “gouvernement d’intérêt général”, le voilà sous nos yeux: sur les mobilités quand tout ce qu’on nous propose est de prendre notre caisse, sur les services publics qui ont du sens, qui font se sentir chacun, qu’il habite Chantemerle-les-Grignan ou Paris 7e, compter de la même manière dans la République, sur la justice fiscale, le retour de l’ISF et l’abolition des privilèges, sur la dignité et la valeur que l’on donne au travail, et à la vie, sur une écologie qui ne n’appuierait pas tous ses efforts sur les plus vulnérables mais qui commencerait par la taxation des jets privés, sur la fin du monarque tout puissant entouré de sa cour, pour enfin redonner la parole aux gens, sur le RIC. Les “petits” y parlent aux “grands”, le “nous” aux “eux”. 

Aujourd’hui, nous reviendrons sur leur histoire, à ces doléances, sur leur présent, en ce qu’elles contiennent sans nul doute une part de notre avenir. Merci aux chercheurs et chercheuses que je sais nombreux aujourd’hui, aux collectifs citoyens, gilets jaunes et associations qui se sont montés partout dans le pays pour leur redonner voix, aux élus locaux, et nationaux, qui êtes dans cette salle pour en échanger toute cette journée, et pour répondre à la question que toutes ces doléances posaient déjà : celle de ne pas tout attendre des gens là haut, mais de repartir de ce qui s’exprime, ici bas.

6 ans

Le 15 avril 2019, Emmanuel Macron devait s’adresser aux Français pour leur dire ce qu’il avait retenu de leurs doléances, et ainsi les restituer. Mais quelques heures avant, stupeur. Notre Dame de Paris s’envole en flammes. On annule la confpresse, on oublie de reprogrammer, on clôt la séquence. 

Vous voyez où je veux en venir. Notre Dame réouvrait ses portes ce samedi, avec des millions de personnes, et le chef de l’état, que dis-je, les chefs de 40 états, et pas des moindres, pour la majestueuse cérémonie. C’est le moment de rouvrir et de rendre les doléances. Il est temps. 

Les jours qui viennent de passer, la confusion, la démocratie que l’on sent se fragiliser… et les jours qui viendront sans doute, nous le disent. 

Il n’a jamais été aussi temps. A l’Assemblée, nous avons, avec des députés de plusieurs autres groupes parlementaires et de manière transpartisane, déposé une proposition de résolution, où nous y demandons la restitution et la publication des doléances, la reconnaissance du caractère inédit et historique de leur recueil, nous demandons la finalisation de la numérisation de chaque cahier de doléances et leur anonymisation, nous demandons que les communes et autorités publiques qui le souhaiteraient puissent être accompagnées pour restituer les doléances émises dans leurs départements.  

On aura failli la voter un certain 19 juin 2024 dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale. La dissolution en aura décidé autrement. Je continue, avec mes collègues, de mener la bataille pour qu’elle soit réinscrite à l’ordre du jour de notre Assemblée au plus vite : dès qu’on aura gagné celle d’avoir, tout simplement, un ordre du jour.  

Aujourd’hui, alors que doit se constituer, une nouvelle fois, un gouvernement, je suis convaincue que son seul cap devra être de réparer un peu notre démocratie si fragilisée. Ce futur gouvernement doit être à l’écoute de ces doléances, dans le respect de la parole citoyenne.

Je finis : cet événement, ici dans ces murs, a une très grande portée symbolique, d’autant plus dans ce moment historique que nous vivons, où la République vacille. 

À la fin du 19e siècle, après des décennies de lutte entre partisans et adversaires de la République, les plus fervents républicains comprirent l’importance du moment fondateur que fut la collecte des doléances de la Révolution française. L’Assemblée nationale, sous l’impulsion de Jean Jaurès, entreprenait quelques années plus tard, fin 1903, la recherche et la publication des cahiers de doléances de 1789. 

A l’orée de l’année 2025, les doléances de 2018 doivent être considérées à leur juste valeur, tout comme l’ont finalement été celles de 1789. Espérons seulement qu’elles puissent l’être en moins d’un siècle. Nous ferons tout pour. 

Je vous remercie une nouvelle fois pour votre présence et je nous souhaite à toutes et tous de riches échanges.

Marie Pochon

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