Mon intervention au colloque : « Protéger le revenu des agriculteurs : des propositions inédites »

C’est un plaisir d’être présente aujourd’hui ici et de vous accueillir en tant que marraine de cet événement avec Gérard Leseul pour échanger ici à l’Assemblée Nationale sur le (petit) sujet du revenu agricole. Un petit sujet, pour notre assemblée au moins, tant les débats sur la pleine application d’Egalim et les décrets attenants se font attendre pendant que l’on passe au coup de forceps la réintroduction de certains néonicotinoïdes tueurs d’abeille ou la mise sous tutelle de l’ANSES. Un petit sujet, pour certains industriels et acteurs de la GMS, dont nous ne savons que si peu sur les marges opérées sur les produits alimentaires qui les amènent à pressuriser les prix pour les producteurs, tout en concourant à l’inflation pour les consommateurs. 

Mais un immense sujet dans les cours de ferme. On le savait depuis bien longtemps, on avait entendu, gronder, de loin, la colère et la détresse, mais comme à l’habitude, on avait fait semblant de ne pas entendre. Il y a un an et demie, la gronde fut plus forte : elle emmena tracteurs et paysans sur toutes les routes de France autour d’un slogan : “agriculteur: enfant on en rêve, adulte on en crève”. Immense sujet que ce travail qui ne rémunère pas, de ces “métiers passion”, qu’on hérite souvent des parents, où l’on ne compte pas ses heures en retour d’un salaire de misère. En 30 ans, le revenu net de la branche agricole a baissé de près de 40 % en France en euros constants; et on estime à 20% les agriculteurs qui vivent sous le seuil de pauvreté. Immense sujet que la vente à perte de ces paysans, que la course à la surface ou aux rendements pour assurer la compression des prix, sur ceux qui pourtant tiennent nos campagnes, font la fierté de la Ferme France et de l’identité de nos campagnes, comme on l’entend si souvent ici dans les discours, pour qu’il ne se retrouve jamais dans le moindre texte de loi adopté. 

C’est vrai chez nous comme c’est aussi vrai ailleurs. Il y a deux mois, je me rendais en délégation parlementaire en Côte d’Ivoire aux côtés de Max Havelaar que je remercie pour l’organisation de ce colloque, pour apprendre et échanger sur les enjeux de commerce équitable et de répartition de la valeur pour les productions agricoles, et notamment des filières banane et cacao, le pays étant le premier producteur mondial. 

La filière café-cacao représente environ 20% du PIB ivoirien et le pays exporte 40% du cacao mondial. Les initiatives de commerce équitable concernent aujourd’hui 25% de production de cacao en Côte d’Ivoire mais bien trop souvent ne trouvent pas de marchés faute de demande; la faute à l’habitude que l’on prend bien souvent de ne pas payer l’alimentation à son juste prix; la faute à des intermédiaires qui ne jouent pas leur rôle, la faute aux coûts cachés de l’alimentation issue de filières conventionnelles – le conventionnel étant compris comme la loi du marché arbitraire, qui détruit les ressources naturelles sur l’autel du court terme, et s’assoit sur les droits humains et les revenus dignes – qui bâtira sans nul doute les conditions de son propre effondrement. 

Comment, par le juste échange, la régulation et la protection de certaines filières et marchés, assurer un avenir à tant d’agricultrices et d’agriculteurs de par le monde ?  

A l’heure des défis du changement climatique, et de l’impératif de productivité agricole aujourd’hui et demain, il est temps de questionner le dogme absolu de ce marché arbitraire, et des accords de libre-échange qui transforment les agriculteurs, du Nord comme du Sud, comme de simples variables d’ajustement des marchés, et d’au contraire les replacer au centre des politiques agricoles et alimentaires. Mais là bas, en Côte d’Ivoire, les réflexions avancent : sur une grande loi sur l’économie sociale et solidaire qui pourrait inclure le commerce équitable, sur un prix plancher ouest africain qui éviterait une distorsion de concurrence entre les pays africains mettant un prix minimum (Côte d’Ivoire, Ghana) et les autres, et éviter que les acheteurs se tournent immédiatement vers l’Asie. Ce que les agriculteurs que nous avons rencontré alors nous demandent, c’est du “trade, not aid”. 

“Des prix, pas des primes”

Mais ici aussi, on avance. Ce slogan, vous l’avez déjà sans doute entendu, c’est celui d’un syndicat agricole, bien implanté ici en France. Alors qu’on estime que la moitié du revenu agricole est aujourd’hui issu des aides (et notamment de la PAC), les questionnements autour de leur juste répartition, de leur baisse éventuelle au vu du ‘mur de dette’, ou de leur fléchage vers la nécessaire transition agro-écologique, comme de l’adaptation face aux impacts croissants des changements climatiques se font plus pressants, poussant pour l’impératif d’assurer des prix justes et rémunérateurs pour les productions agricoles. Il y a un an, l’Assemblée adoptait d’ailleurs la proposition de loi que je portais pour garantir un revenu digne aux agriculteurs. L’objet de cette proposition de loi était de permettre aux filières, sur une base volontaire, de se voir assurer un prix rémunérateur pour les produits agricoles. On proposait également le financement, par la taxation des intermédiaires, d’un fonds de transition, pour faire en sorte que les agriculteurs ne soient pas laissés seuls face au coût de la transition écologique. 

Un immense sujet, donc, que nous prenions à bras le corps : L’idée de cette proposition de loi, c’était que le prix plancher garanti soit défini par les conférences des filières, et non imposé par l’État pour permettre de prendre en compte les spécificités des différentes filières agricoles, qu’il s’agisse de l’élevage, de la viticulture, des grandes cultures, etc. Chaque filière pourrait donc ajuster ses prix en fonction de ses réalités économiques et des coûts de production propres à chaque zone géographique. Ce principe garantissait que les producteurs, à travers leurs interprofessions, auraient un poids dans la définition du prix et que ce dernier était adapté aux particularités locales et par secteur. L’objectif de ce prix rémunérateur : couvrir les coûts de production dans chaque filière, incluant la rémunération des agriculteurs, proposé pour être au moins équivalent à 2 SMIC; un filet de sécurité, garantissant que les producteurs ne travaillent pas à perte. 

Bien évidemment, je suis consciente que les prix planchers ne sont pas une solution unique et miracle, que la fixation d’un prix minimum d’achat des produits agricoles doit en premier lieu s’accompagner d’une plus grande régulation des marchés, pour ne pas mettre en concurrence nos agriculteurs avec des produits agricoles produits avec des normes environnementales, sanitaires et sociales moins disantes et venir en complément d’un encadrement et d’une transparence sur les marges des agro industries et des distributeurs.

C’est une des petites réponses à laquelle nous aurons contribué, sans qu’elle ne puisse malheureusement aller plus loin (vous savez, l’histoire des petits sujets parlementaires qu’on garde pour les grands discours à défaut des grandes lois); une petite réponse à l’immensité du sujet que vous abordez aujourd’hui, celui du revenu agricole. Merci de le faire, merci des autres réponses, petites et grandes, que vous amènerez sur la table aujourd’hui. Je crois pouvoir promettre sans grand doute que moi comme Gérard serons à votre disposition pour les défendre dans cet hémicycle comme ailleurs. 

Je nous souhaite des échanges fructueux.

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