Nous sommes heureux de vous présenter aujourd’hui le fruit d’une réflexion qui s’est étendue sur près de neuf mois, si l’on compte la période de dissolution et d’élection anticipée : cette Mission d’information dont nous vous présentons les conclusions aujourd’hui, je vous en avais demandé la validation des objectifs en début d’année 2024 et nous en avons commencé nos auditions l’an passé, au mois de mars. Au fil de cette longue année, nous aurons eu l’honneur de deux présidences, toutes deux appartenant au camp présidentiel, et je tiens à saluer Antoine Armand, qui a présidé nos travaux jusqu’à juin 2024, remplacé en octobre dernier par Jean-François Rousset, dont je souhaite saluer l’engagement et la détermination à mener, avec nous deux co-rapporteurs, ces travaux. Je profite de ces remerciements pour adresser un immense merci aux deux administrateurs qui nous ont accompagnés tout au long de ces travaux : Olivia Sanson et Nicolas Dufrene, recevez toute ma gratitude pour votre soutien et votre travail rigoureux et attentif; mais également à nos équipes respectives, et à nos collègues députés qui se sont impliqués dans nos travaux.
Au cours de la quarantaine d’auditions, de la centaine d’acteurs entendus, et de nos trois déplacements sur le terrain, dans le Cantal, les Pyrénées Atlantiques et le Vercors, nous avons pu nous rendre compte de la richesse et de la résilience du pastoralisme français, mais aussi prendre la mesure des défis auxquels il est confronté aujourd’hui. Comme l’a rappelé mon collègue co-rapporteur M. Jean-Yves Bony, nos travaux nous ont conforté dans l’idée que le pastoralisme est un atout indispensable pour le développement durable des territoires ruraux. Là est, à l’heure des bouleversements mondiaux, un élevage non seulement ancestral, pilier économique et patrimonial de nos territoires ruraux, mais aussi un élevage extensif, respectueux de la condition animale, autonome notamment en matière d’alimentation animale, protecteur de la biodiversité, en capacité de capter le carbone au travers des prairies ; un élevage également qui permet, par l’activité qu’il permet dans des territoires où souvent aucune autre activité ne pourrait prendre place, d’assurer la vitalité de nos territoires ruraux et de nos villages. Nos propositions visent ainsi, à le renforcer.
Je ne vais pas revenir sur les différents points abordés par mon collègue, mais vous présenter d’autres enjeux identifiés dans notre rapport, notamment sur le plan économique. Mais d’abord un mot préalable sur la question de la prédation. Dans le rapport, j’ai souhaité porter deux propositions spécifiques pour aider les acteurs du pastoralisme à mieux se protéger de la prédation.
– La première consiste à développer, au delà des tirs de défense déjà existants, des moyens non-létaux de protection « alternatifs » (piégeages, surveillance électronique).
– La seconde consiste à améliorer la protection des troupeaux via un renforcement des moyens humains et financiers de l’OFB et des brigades de louvetiers, pour accélérer et renforcer leur capacité à adapter au mieux leurs interventions dans le cadre du déclenchement des tirs de défense. Affaiblir l’OFB et ses effectifs nous prive ainsi également de moyens de soutiens aux éleveurs pastoraux face à la prédation.
Cette parenthèse refermée, je souhaiterais développer trois points dans mon intervention, qui sont complémentaires de ceux abordés précédemment :
- Le premier porte sur l’articulation entre les activités pastorales et les autres usages de la montagne et des élevages pastoraux. On voit que c’est un thème récurrent, sur lequel il faut trouver de nouvelles voies de médiation ;
- Le second thème porte sur la question de l’accès au foncier pour les éleveurs pastoraux, qui est également une question centrale dans notre rapport, et qui a fait l’objet de propositions détaillées ;
- Enfin, le troisième axe de mon intervention portera plus globalement sur l’équilibre économique des activités pastorales et sur le soutien que peuvent apporter les politiques publiques européennes, nationales et régionales.
Concernant le premier point, à savoir l’articulation des activités pastorales avec les autres activités de montagne que sont notamment la gestion et l’exploitation de la forêt, le tourisme et la randonnée, nos différentes rencontres nous ont permis de comprendre que les éleveurs pastoraux ont l’impression que l’espace dont ils disposent se réduit sous la concurrence de multiples activités, des activités forestières, de la concurrence foncière et, désormais, de la prédation; mais également que leur voix est trop peu entendue dans les décisions concernant les espaces pastoraux.
De manière générale, les éleveurs et les bergers sont souvent contraints de réaffirmer la légitimité matérielle et symbolique de leurs pratiques sur l’espace, alors même qu’ils ont largement contribué à façonner l’environnement dans lequel leurs activités se déploient.
La question des chiens de protection est ainsi revenue à plusieurs reprises, même si celle-ci a trouvé une réponse partielle au travers de la loi d’orientation agricole qui a modifié le code pénal, afin de soulager les éleveurs et les élus du point de vue de leur responsabilité pénale du fait de morsures éventuelles. Il faut ainsi rappeler que les accidents sont souvent provoqués par des comportements inadaptés des personnes se trouvant à proximité de chiens de troupeaux, ce qui renforce l’exigence d’avoir des actions de médiation et d’information sur le terrain. Il en va de même de la cohabitation avec les activités de chasse, ou à l’utilisation des surfaces ligneuses et forestières par les éleveurs. Si des conventions existent, elles doivent s’accompagner d’espaces de dialogue et de co-construction des usages. Or, cela n’est pas toujours facile car les instances de dialogue qui incluent spécifiquement les éleveurs pastoraux sont plutôt rares.
Même constat du côté des activités sportives de nature. Les éleveurs et bergers déplorent souvent le fait que les sportifs ou les randonneurs ne prennent pas soin de refermer systématiquement les enclos qu’ils traversent ou qu’ils effarouchent les troupeaux par leurs comportements. Les chemins sont parfois désignés par les spécialistes du comportement animal comme un « Couloir de la peur » qui perturbe le comportement des animaux. Il nous a ainsi semblé nécessaire de tirer la conclusion qu’il fallait créer des lieux de concertation spécifiques au pastoralisme, au-delà des comités loup qui existent déjà dans les territoires de prédation. Ces lieux devraient permettre une co-construction des politiques pastorales, en reconnaissant la transversalité et la spécificité de ce mode d’élevage. Ainsi nous proposons de réunir au moins une fois par an des « comités départementaux pastoraux », sous l’égide du préfet, qui réuniront l’ensemble des acteurs (représentants des éleveurs et des bergers, chambre d’agriculture, associations, collectivités locales, services de l’État).
Par ailleurs, la représentation adéquate des éleveurs pastoraux dans les instances de décision, telles que les commissions régionales agro-environnementale et climatique (Craec) ou les projets agroenvironnementaux et climatiques (Paec), doit également être posée. Elle est aujourd’hui freinée par l’absence de dispositions permettant une prise en charge spécifique de leurs frais d’absence, de remplacement éventuel, mais aussi de leur différenciation avec l’ensemble des éleveurs.
J’en viens désormais au second point important, à savoir la question du foncier.
Historiquement, le foncier consacré au pastoralisme a connu une montée en puissance de la propriété privée au cours des XIXe et XXe siècles, au détriment des droits d’usage collectifs, qui ont cependant subsisté à certains endroits. Aujourd’hui, cette vision individualiste et exclusive de la propriété foncière entre de plus en plus en contradiction avec une gestion collective des ressources d’un territoire. Du point de vue du foncier pastoral, la loi n° 72-12 du 3 janvier 1972 précitée a ainsi constitué une étape importante, notamment grâce aux associations foncières pastorales et aux conventions pluriannuelles de pâturage, forme souple de relation contractuelle entre le propriétaire du fonds et l’exploitant de l’herbe situé sur ce fonds. Si bien qu’aujourd’hui, les surfaces pastorales font l’objet de statuts fonciers très divers (pleine propriété, convention de pâturage ou fermage), mais elles sont aussi dans de nombreux cas la propriété, non pas d’éleveurs, mais de communes, comme de multiples petits et grands détenteurs privés, ce qui peut contribuer au morcellement des terres pastorales.
En outre, dans la période récente, le foncier pastoral est aussi devenu un sujet de convoitise, notamment au titre du marché carbone, des compensations en faveur de la biodiversité ou de l’implantation d’énergies renouvelables.
Les outils créés par la loi pastorale de 1972 demeurent ainsi d’une grande actualité et d’une grande utilité, à l’instar des associations foncières pastorales ou des groupements pastoraux. Cependant, ils demeurent insuffisamment déployés sur le territoire, faute de moyens pour aider leur création et leur développement. Ainsi, on compte à ce jour seulement 400 AFP et 800 GP sur le territoire national, pour plus de 35 000 exploitations pastorales.
Cela s’explique notamment par le fait que leur mise en œuvre nécessite une animation importante, souvent portée par des bénévoles, un modèle qui atteint aujourd’hui ses limites. L’État apporte certes un soutien à travers une aide à la création des associations foncières pastorales et une aide au démarrage des groupements pastoraux. Cependant, les montants de l’aide versée au démarrage sont modestes (quelques milliers d’euros) et ne permettent pas d’engager un salarié, même sur une durée limitée. Nous pensons donc nécessaire de renforcer et de généraliser ces aides pour la création et le fonctionnement des outils de gestion du foncier pastoral.
Les Safer ont également un rôle important à jouer, notamment en utilisant l’outil du bail rural à clauses environnementales, qui permet de prévoir des pratiques agricoles respectueuses de l’environnement et des ressources naturelles. Ainsi, il nous semble nécessaire de donner davantage de moyens aux Safer pour protéger les terres agricoles pastorales et pour organiser des partenariats avec les collectivités pour la rétrocession de foncier en vue de projets pastoraux.
Enfin, il nous semble indispensable de recourir davantage à des cartographies détaillées des espaces pastoraux, en particulier dans les zones sensibles, permettant de définir des zones protégées. Le code de l’urbanisme ignore à ce jour le pastoralisme et ce dernier s’intègre par conséquent dans les zonages existants des documents d’urbanisme sans prise en compte particulière de sa spécificité foncière. Nous proposons d’y remédier en instaurant, dans les documents d’urbanisme, des zones pastorales reconnues spécifiquement en tant que telles et différentes des zones agricoles, ou bien marquées au titre d’un sous-zonage de ces dernières. Cela constituerait à nos yeux un outil puissant au service de la sauvegarde du foncier pastoral, en évitant notamment le phénomène de morcellement.
J’en viens enfin à mon dernier point relatif aux équilibres économiques du pastoralisme.
Une grande partie des enjeux repose aujourd’hui sur la conduite de la PAC. Or, la PAC ne fait pas de distinction entre les éleveurs selon le type d’élevage qu’ils pratiquent. Il n’y a pas d’aide fléchée spécifiquement et uniquement vers le pastoralisme. C’est pourquoi nous proposons notamment de supprimer le taux de chargement minimal de 0,2 unité de gros bétail (UGB) pour les surfaces pastorales ligneuses. J’ai également fait la proposition de majorer les aides du 1er pilier de la PAC sur les premiers hectares pour soutenir les petites fermes pastorales.
Enfin, nous proposons de renforcer les enveloppes des Maec tant surfaciques que non surfaciques, et notamment en faveur des activités d’élevage pastoral. Car il est clair que le pastoralisme s’accompagne de bénéfices environnementaux tels qu’ils nécessitent un soutien spécifique accordée par la collectivité à ce titre. Inversement, en raison des obstacles spécifiques qu’il doit surmonter, nous pensons qu’il faut réaffirmer le soutien de la France à la pérennité de l’ICHN dans les négociations relatives au budget de la PAC et plaider pour sa revalorisation. Au-delà de la PAC, l’agropastoralisme contribue aussi au maintien d’un tissu économique sur les territoires. Les exploitations agropastorales génèrent annuellement un potentiel économique de 8,5 milliards d’euros et 10 milliards d’euros de services non-marchands, pour plus de 250 000 emplois. Par conséquent, les filières d’élevage pastorales doivent bénéficier d’outils de mutualisation des coûts en amont et en aval de la production. De manière générale, les filières d’élevage pastorales souffrent d’une perte d’emplois dans les filières de l’aval : transformation laitière et valorisation des fromages d’estive, abattage et découpe de la viande, etc. Depuis plusieurs années, ces filières connaissent des difficultés économiques structurelles qui les poussent à des regroupements et qui se traduisent par la fermeture d’outils industriels, en particulier les usines de transformation et les abattoirs. C’est pourquoi il nous semble nécessaire de développer des aides spécifiques pour le soutien aux abattoirs territoriaux, dont les abattoirs coopératifs comme celui du Diois, ou mobiles, et pour les structures locales de transformation et de valorisation des produits du pastoralisme.
Nous pensons aussi qu’il est nécessaire d’atteindre au plus vite les objectifs fixés par la loi Egalim, à savoir 20 % de bio et 50 % de produits sous signe d’identification de la qualité et de l’origine (Siqo) dans la restauration collective. Or, aujourd’hui seulement 15 % des cantines scolaires atteignaient l’objectif de 20 % de bio dans leurs menus. En ce qui concerne les produits sous Siqo, une étude menée par le ministère de l’agriculture en 2021 a indiqué que seulement 28 % des établissements remplissaient l’objectif de 50 % de produits sous signes officiels de qualité. Or, ces produits sont souvent issus du pastoralisme, car les Siqo sont un moyen pour les éleveurs pastoraux de se démarquer et de valoriser, justement, face à la concurrence des productions plus intensives, leurs coûts plus élevés de production.
C’est pourquoi nous proposons de renforcer les soutiens de l’État aux collectivités territoriales pour atteindre les objectifs fixés par la loi Egalim mais également de mieux assurer la transparence et la régulation des marges des différents acteurs de la chaîne de commercialisation des produits du pastoralisme.
Nous proposons aussi de soutenir la diffusion des labels existants les plus adaptés aux produits issus du pastoralisme et de mieux réglementer la communication des filières d’élevage pour distinguer les produits issus de l’élevage extensif et de l’élevage intensif, car certaines jouent sur les deux tableaux, tout en ne soutenant pas pour autant la création de nouveaux labels.
J’ai également tenu à ajouter, à titre personnel, l’introduction dans la loi de sanctions en cas de non-respect des objectifs fixés par la loi Egalim ainsi que le soutien au développement des Plans alimentaires territoriaux ou à des initiatives qui se multiplient à l’échelle locale comme la sécurité sociale de l’alimentation. Il me semble par ailleurs indispensable d’introduire des prix garantis sur les productions pastorales, définies de manière volontaire par les conférences de filières.
Enfin, et j’en terminerai par-là, nous avons tenu à rappeler le risque que font porter les accords de libre-échange qui exposent les éleveurs français à des conditions de concurrence non-soutenables et appelons à privilégier les produits du pastoralisme français dans la commande publique. Un chiffre illustre bien cette problématique : alors que la France est un pays avec une grande tradition d’élevage, elle n’est ainsi auto-approvisionnée qu’à 50 % pour la viande ovine, l’autre moitié étant fournie par l’importation en provenance du Royaume-Uni et de l’Irlande (35 %) et de la Nouvelle-Zélande (10 %). Ainsi, vos rapporteurs souhaitent réaffirmer leur opposition à la généralisation sans précaution d’accords de libre-échange qui exposent les éleveurs pastoraux à des conditions de concurrence non soutenables pour eux.
J’en ai fini et vous remercie pour votre écoute.
Je tiens, avant de vous écouter à notre tour, à remercier Jean Yves Bony pour son engagement sur cette mission : je crois que nous avons montré, au travers de cette année de travail transpartisan, que nous étions capables, au delà de différences notables que nous pouvons avoir sur beaucoup de sujets, que nous étions capables de travailler de manière intelligente ensemble quand des sujets nous tiennent à coeur.
L’élevage n’est pas un tout homogène, “défendre l’élevage” ne veut pas dire grand chose, tant les pratiques sont différenciées; et vous l’aurez compris, nous avons fait le pari, au travers de cette mission, de soulever la singularité de ce mode d’élevage qui fait l’identité de tant de nos territoires.
Il est probable que nombre d’entre vous aient été surpris par mon engagement, en tant qu’écologiste, en défense de l’élevage pastoral – pour autant, c’est pour moi une évidence, non seulement de part le territoire d’où je viens, mais d’autre part, aussi en tant qu’écologiste, car je crois que la transition de l’élevage ne passera que par la régulation de modèles intensifs, et la promotion, au contraire, massive et déterminée, d’un élevage extensif, autonome, résilient, qui fait vivre nos territoires, celui du pastoralisme.
J’espère, sincèrement, que de ces propositions, nous saurons, de la même manière, en faire des actes concrets pour soutenir l’élevage pastoral. Nous nous y engageons ici ici à cette tribune.
Pour lire l’ensemble du rapport : Rapport d’information, n° 1272 – 17e législature – Assemblée nationale
Marie Pochon