Ma déclaration vis à vis de la motion de censure déposée par le groupe socialiste

Il n’y a qu’une seule question politique : comment voulez-vous élever vos enfants ?

Cette phrase est de vous, Monsieur le Premier Ministre, il y a quelques années. Je la partage entièrement. Je crois que cette question, c’est celle qui doit animer chacun de nos choix, en tant que représentants de la Nation. 

Comment voulons-nous élever nos enfants ? 

C’est la question que je me pose, depuis cette dissolution inconséquente, depuis cette morosité installée dans le pays du refus démocratique du résultat des urnes, quand la seule discussion proposée au pays est celle de la haine et du rejet de l’autre. 

Des discussions, nous devrions en avoir tant d’autres, à commencer par celles qu’avaient posé sur le papier les millions de Français qui ont noirci les doléances il y a 6 ans sur les manières d’être à la hauteur du défi climatique et environnemental tout en protégeant nos compatriotes les plus vulnérables, sur la réindustrialisation, sur l’accès aux soins, à la culture, les moyens de notre École Républicaine, la justice fiscale, le pouvoir d’achat, la lutte contre le racisme et l’antisémitisme, la mobilité pour toutes et tous, la protection contre les polluants éternels, la garantie de prix rémunérateurs pour les agriculteurs, le contrôle de la qualité de notre eau potable, le respect du droit international. 

Nombre de ces discussions seront posées demain, lors de la journée du Groupe Écologiste et Social, et je remercie mes collègues pour cela. 

Mais partout, tout le temps, c’est le chaos qui s’installe, peut être à dessein : on attaque les institutions garantes de l’état de droit, le climato-scepticisme s’installe ; des groupuscules d’extrême-droite attaquent des conférences en plein Paris ; on laisse dire des choses qu’en d’autres temps, toute la classe politique aurait condamné ; des « étrangers, dehors » criés dans l’hémicycle aux “submersions migratoires” qui non, n’existent pas et c’est dégueulasse de les faire vivre dans l’esprit des gens pour nourrir des petits avantages électoraux; des prisons qu’on veut bâtir par dizaines tandis que dans mon département, on fermera 47 classes encore cette année. 

Et tandis que des responsables politiques brandissent des tronçonneuses en conférence de presse, d’autres organisent la primaire de leur parti en direct de la place Beauvau, à coups de conférences de presse affolant BFM avec une maire qui affirme que les auteurs d’attaques au couteau ont “souvent des origines liées à l’Islam”. Tandis que certains défendent ici le populisme judiciaire d’enfermer les enfants et de stigmatiser les parents, d’autres entendent revenir sur le droit du sol sur tout le territoire national. Tout ce joli monde a pu également rendre une pluie d’hommages à un tortionnaire mais n’aura pas accordé un mot, pas un mot, pour dénoncer quelques semaines plus tard une attaque nazie sur notre sol. Votre existence ne prospère que sur l’indignité de la division et de la fracture. 

Tout cela, en appelant les autres à la responsabilité et à la stabilité. 

Votre responsabilité, Monsieur le Premier Ministre : là était la question que vous ne nous avez jamais posé. C’est pourtant ce qu’il se passe dans toutes les démocraties fonctionnelles : c’est celle à laquelle nous devons répondre aujourd’hui. 

Cette motion de censure, portée par nos collègues socialistes, on aurait bien aimé qu’elle porte sur le budget, pour autant elle porte sur tout le reste. 

Mais tout de même, j’aimerais revenir un instant sur le budget, en revenant sur les faits : 

  • 1000 milliards de dette creusés depuis 2017 par la droite sénatoriale et le bloc présidentiel ; 
  • La publication de notes confidentielles remettant en question la sincérité du budget 2024 que nous n’avions même pas pu débattre ; 
  • Et le 28ème 49.3 en un peu plus de deux ans qui aura suivi. 

Malgré tout, et vous remarquerez là notre grande résilience, j’ai, comme l’ensemble de mes collègues Écologistes, participé aux débats budgétaires cet automne. Nous y avons fait adopter des amendements, en commission, et en séance, grâce à des votes venus de tous les bancs, démocratiquement. Le gouvernement a fait le choix de ne pas les retenir. Puis, nous sommes revenus aux discussions, et avons argumenté, fait des propositions crédibles parce que le dialogue et la culture du compromis sont des valeurs que nous portons. 

Monsieur le Premier Ministre, vous avez sciemment décidé de contraindre l’exécution budgétaire de la loi spéciale pour installer l’inquiétude chez nos concitoyens et d’utiliser pas moins de quatre 49.3 pour clore les discussions. 

Vous avez sciemment décidé d’exonérer certains de l’effort collectif, ce même effort que nos concitoyens, nos entrepreneurs, nos classes rurales, nos gendarmes, nos agriculteurs, nos sapeurs-pompiers, nos élus locaux, nos associations, notre jeunesse devront porter. Et pire encore : tous ces efforts et ces coupes, ne tiennent toujours pas la bonne trajectoire de réduction de la dette. Tout cela empirera donc, d’ici quelques mois. 

Malgré notre engagement dans les discussions, vous n’avez fait aucun compromis dans notre sens, par choix politique et parce que vous n’en n’aviez pas besoin, car l’adoption du budget vous était acquise. Vous en aviez le droit, et en ce qui nous concerne, nous avions le devoir de nous y opposer. 

Tout le reste, maintenant. 

Monsieur le Premier Ministre, comme vous, je suis élue dans ce qu’on appelle à Paris la Province. Contrairement à vous, je sais que notre sort, dans la Drôme d’où je viens, n’a souvent été lié qu’à notre capacité à nous débrouiller par nous-mêmes. Nous votons et payons nos impôts, nous aimons notre pays. L’Etat doit être celui qui assure l’égalité des territoires, la redistribution, la justice, la santé, l’éducation, notre sécurité aujourd’hui et demain, car sinon nous serons oubliés de cette histoire – si nous ne le sommes pas déjà un peu – et nous ne serons pas les seuls. L’Etat doit assurer, plus que tout, qu’il considère chacune et chacun de la même manière, qu’il habite à Pau ou à Mayotte, à Séderon ou dans le 17ème arrondissement de Paris.

La colère qui s’exprime dans notre pays, ce n’est pas “un truc très français”. Elle a des racines très concrètes : dans l’abandon de territoires entiers, dans les logiques de marché qui plongent les gens dans des situations inextricables, dans la perte de sens que l’autorité veut venir combler ; dans l’abandon, sous couvert de coupes budgétaires, d’initiatives Territoire Zéro Chômeur de Longue Durée ou la fermeture, dans mon département, de 7 centres de santé sexuelle; dans votre incapacité à respecter vos propres engagements écologiques. 

Elle se niche dans les cibles que vous placez sur tous les thermomètres de la protection de la biodiversité, de l’OFB à l’ADEME en passant par l’Agence Bio, les réserves naturelles, le CNRS, ou l’INRAE, tous ces outils qui sont un frein irraisonnable à votre sacro-sainte compétitivité, dont il faudra nous expliquer un jour quand même comment elle permet de faire vivre nos villages, nos fermes, notre mieux-vivre.

On aurait dû, ce soir, adopter une loi d’orientation agricole qui porte la plus haute ambition pour notre agriculture qui fait notre histoire, notre fierté et notre avenir. Mais cette ambition vous l’avez pourtant écrasée avec votre socle commun climatosceptique et un texte qui est un condensé de toutes les manœuvres pour fracturer notre pays. Toutes les dérives sont là : la souveraineté alimentaire qui détruit ses conditions mêmes d’existence, la compétitivité, l’export et la chimie plutôt que l’agronomie et le soutien à nos fermes paysannes et familiales, tout cela pour un coup de com’ au salon : voilà ce que vous faites de cette ambition, qui n’est pas là pour nous faire plaisir, mais pour nous assurer tout simplement un avenir. 

Entre la censure de Monsieur Barnier et votre nomination, Monsieur Bayrou, il y a un département français qui a été *intégralement rasé* par les conséquences du dérèglement climatique et l’on regarde ailleurs.

C’est vertigineux

La politique, c’est fait pour donner aux gens des raisons de vivre” disiez vous il y a quelque temps. 

Alors, toutes les motions de censure depuis 6 mois, j’ai douté avant de les voter, du fait de cette habitude qui s’installe que de devoir accepter parce qu’il le faut des politiques et des budgets sans débat et sans vote de l’assemblée, de devoir accepter parce qu’il le faut les insultes à nos compatriotes, la fracturation de notre communauté nationale. De devoir accepter parce qu’il le faut les pires reculs environnementaux, la fin de l’agriculture paysanne et familiale, la couverture de crimes pédocriminels. De devoir accepter parce qu’il le faut un Ministre de l’Intérieur qui est incapable de dénoncer une attaque nazie sur notre sol, et l’extrême-droitisation de nos débats. 

Je les ai votées après de nombreux doutes, parce que je ne peux assumer cette accoutumance au pire dans laquelle nous sommes. En ces temps où bruisse l’antiparlementarisme sur fond d’austérité budgétaire, ce qu’il faut c’est affirmer que le parlement n’est pas le problème, c’est justement la solution. Ce qu’il faut c’est interdire le 49.3, en ce qu’il constitue la censure de l’expression de la représentation nationale : ce serait là une porte ouverte, la seule sans doute, vers l’obligation de la coopération, au-delà des postures démagogiques et populistes. Ce qu’il aurait fallu, c’est à l’heure où nous abimons la République qui devient perméable à la corruption, ne pas élire au Conseil constitutionnel, avec l’aval de l’extrême-droite, un copain sauvé d’une mise en examen pour prise illégale d’intérêt grâce à la prescription. 

Monsieur le Premier Ministre, depuis votre nomination, je n’ai pas tout compris à vos mots, et je ne suis pas sûre que vous les maîtrisiez tous non plus. J’ai vu, derrière les oublis, les maladresses et les hésitations, se dessiner un cap, celui de vous maintenir au pouvoir grâce au flou et l’inaction, promettant un peu à certains mais ne s’engageant sur rien, alimentant la grande confusion dont se nourrit l’extrême droite.

J’ai compris que nos générations vivront sans doute moins bien que celles de nos parents, et, comme le Secrétaire Général à la Planification Écologique qui a quitté son poste hier, que nous ne ferons rien, ou si peu, face au cataclysme climatique et sanitaire. J’ai compris que nous nous enfoncerons, malgré tout ce que nos aînés avaient bien pu bâtir après les plus grands drames de notre histoire, dans l’ère du chacun pour soi et de la règle de droit arbitraire selon que l’on soit puissant ou vulnérable. 

J’ai compris que malgré les heures d’échanges avec vous et vos ministres, et nos collègues ici dans l’hémicycle, que vous préférez gouverner avec l’aval d’autres, à l’exact inverse du front républicain qui a fait élire votre socle commun.

Monsieur le Premier Ministre, vous n’êtes pas écologiste, entendez que des français s’en préoccupent. Vous n’êtes pas de gauche : entendez que c’est là le bloc politique arrivé en tête aux élections. Entendez que les dividendes monstrueux versés par le CAC40 cette année sont une insulte à toutes celles et ceux à qui vous demandez de faire des efforts, et qui le font, parce que les gens croient encore en la République.

Monsieur le Premier Ministre, vous vous dites démocrate : entendez ce que les défaites successives de votre camp, ce que la colère, la tristesse, l’impuissance, le désespoir, tous ces sentiments qui parsèment les sondages d’opinion, les doléances et les cérémonies de vœux dans nos circonscriptions le mois dernier veulent dire de la crise de régime que nous vivons. Entendez que cela ne peut conduire à la continuité, mais à un changement de cap.

Pour toutes ces raisons, notre groupe Écologiste et Social votera cette censure.

Marie Pochon

ABONNEZ-VOUSAU JOURNAL DE BORD !

ABONNEZ-VOUSAU JOURNAL DE BORD !

En vous inscrivant, vous recevrez chaque semaine le détail des actions et réalisations de Marie Pochon.

Merci, vous êtes bien inscrit.e !