Bonjour à toutes et tous,
Merci pour votre présence nombreuse aujourd’hui.
Je suis ravie de marrainer ce colloque sur “l’avenir de l’élevage au-delà des clivages”, porté par le CIWF et la Fondation pour la Nature et l’Homme, que je remercie pour cette belle initiative. Comme vous l’avez remarqué, il s’agit d’un marrainage transpartisan, avec Mme Laurence Maillart-Méhaignerie, que je remercie également pleinement. Le fait transpartisan, c’est une démarche qui me tient particulièrement à cœur, et je tiens à en dire un mot pour cette introduction.
Se parler, dialoguer, s’écouter, se comprendre. Ca peut paraître tout bête, mais dans un moment politique où on a souvent l’impression que l’on ne peut plus se parler dans notre pays, ou certains dessinent des France irréconciliables et des divisions; dans un moment politique où l’assemblée EST abîmée et la confiance en la politique et sa capacité à changer les choses s’érode : oui, je reste convaincue que nous devons être à la hauteur, et pour cela, redonner toute sa grandeur à cette si belle maison du peuple dans laquelle nous vous accueillons avec plaisir aujourd’hui. Sa grandeur, elle réside dans la parole des millions de voix que nous portons avec nous quand nous nous y exprimons, dans les millions de vies que chacune de nos actions contribuent à changer, pour le mieux. Si je vous parle de tout cela, c’est parce que la discussion, en matière d’élevage, elle est, disons-le nous, pas facile non plus.
Je le dis en tant qu’élue de la Drôme, haut lieu du pastoralisme, où j’ai grandi, d’une circonscription immense de 240 communes, en tant que fille et petite fille de vignerons.
Et je le dis, aussi, en tant que députée écologiste, l’une de celle qui a initié l’affaire du siècle, qui a fait condamner l’état en justice pour inaction climatique, et en tant que co-présidente de la Défense des Terres!
La question, elle est là, partout, cassant toute possibilité de dialogue, tant il semble pour beaucoup que la réponse est évidente : l’action pour le climat, la transformation écologique radicale de notre société serait-elle incompatible avec l’élevage ?
Je l’affirme alors en préambule : l’élevage a toute sa place dans le monde que nous voulons – et devons – faire advenir.
Je l’affirme aussi : tous les modèles d’élevage ne se valent pas.
Ce colloque aura un objectif : sortir des clivages assez faciles, qui ne mènent à rien à part à se donner raison et se dire que les autres ont tort – mais je vous avoue que je suis pas bien sûre que l’on pourra ainsi faire face aux défis devant nous – et définir, ensemble, autour de tables rondes passionnantes, avec les acteurs et actrices de la société civile, des filières, avec les éleveurs et éleveuses, avec les parlementaires de tous les bancs républicains de notre assemblée, l’avenir de l’élevage.
Ce cadrage est essentiel. L’avenir de notre agriculture concerne tout le monde. Parler d’agriculture, d’élevage et d’alimentation, c’est parler de l’air qu’on respire, de l’eau que l’on boit, du climat, de la biodiversité, de notre santé à toutes et tous, citoyens et agriculteurs, de ce que nous mangeons, de nos paysages, de notre économie et bien sûr, du dynamisme de nos territoires ruraux.
Nous, écologistes, défendons un élevage économe et autonome, respectueux du bien-être animal et rémunérateur pour les paysans et paysannes, fondé notamment sur les systèmes bio, le plein air, et le pâturage.
Nous savons les menaces qui pèsent sur celui-ci. Nous savons les 66 000 fermes d’élevage qui ont mis la clef sous la porte ces 10 dernières années.
Après des années de politiques marquées par l’industrialisation, la mondialisation, la financiarisation, la concentration des cheptels : Une chose est sûre, la décroissance de l’élevage est en marche et on ne va pas vers le moins et mieux mais vers le moins et pire.
Les éleveurs et éleveuses ont le revenu moyen le plus bas dans la profession agricole. D’après l’INSEE, c’est particulièrement le cas dans les élevages bovins viande. Les fermes d’élevage ont également le taux d’endettement moyen par exploitation le plus élevé, avec cette fois-ci les élevages porcins en tête.
Une des conséquences, c’est le mal-être agricole, qui est systémique. Selon les statisiques de la Mutualité Sociale Agricole, les assurés agricoles ont un risque de décès par suicide 43% plus élevé que la population générale. Sur ce sujet, la réponse des pouvoirs publics est loin d’être à la hauteur, à croire qu’il est presque acquis par la société que les paysans, que les éleveurs doivent être en difficulté.
“Mais moins d’élevage, c’est pas ce que vous voulez, vous, les escrolos?” nous dit on.
Nous répondons que l’effondrement du cheptel n’est aucunement planifiée, mais bel est bien subie. Qu’il en sort des gagnants, et des perdants. Et que dans cette hémorragie, ce sont les élevages paysans et les plus vertueux qui disparaissent.
Nous répondons que cette baisse n’entraîne même pas de réduction des émissions de gaz à effet de serre, puisque les élevages qui restent sont ceux les moins vertueux – ou les plus industriels, et que la consommation totale de viande des Français continue d’augmenter.
Nous répondons, à tous ceux qui opposent écologie et élevage, que cette polarisation du débat ne sert que ceux et celles qui veulent maintenir le statu quo, au détriment du nouveau contrat social qu’il nous faut fonder autour d’un élevage centré sur la digne rémunération des éleveurs et la protection de l’environnement. Nous défendons la définition des modèles d’élevage pertinents, la protection du revenu, l’accompagnement à la déspécialisation et la diversification, la protection contre les importations, une politique alimentaire volontariste.
Sécheresses, incendies, inondations, hausse des températures, points de bascule… Au sortir d’une COP pendant laquelle les lobbys gaziers et pétroliers ont déclaré la guerre, les enjeux devant nous sont immenses. Notre responsabilité est immense. “Le contraste entre le calme avec lequel nous continuons à vivre tranquillement et ce qui nous arrive est vertigineux”, disait Bruno Latour.
L’élevage représente environ 60% des émissions de GES du secteur agricole français, qui est le 2e pôle le plus émetteur en France. L’agriculture est également le 1er secteur en matière de consommation d’eau, avec 57% de la consommation, principalement pour les cultures destinées à l’alimentation animale (64% de la SAU).
Pour cela, il est urgent de ne pas laisser les éleveurs seuls face à la transition. Chacun doit prendre sa part, pas uniquement le début et le bout de la chaîne : le milieu est essentiel – la transformation et la grande distribution, qui font, il faut se le dire, la pluie et le beau temps pour beaucoup sur les prix, les marges, les pratiques agricoles, les habitudes de consommation également. Je suis à ce titre ravie qu’il y ait des industriels autour de la table.
Les habitudes de consommation, on en parlait : A ce niveau l’articulation avec les politiques alimentaires est absolument cruciale. Sans parler des enjeux sanitaires, tous les scénarios de neutralité carbone en 2050 pour la France prévoient une réduction de la consommation de viande, avec des ampleurs variant de 20 % à 70 %.
On peut faire un petit exercice : est ce que vous pouvez lever la main, celles et ceux parmi vous qui ont réduit leur consommation de viande ces dernières années ?
Alors je vais vous dire : i4ce a mené la même enquête. Quand ils interrogent les Français sur leurs pratiques alimentaires, près de la moitié disent avoir réduit leur consommation de viande, et environ un quart d’entre eux se disent flexitariens. « Cette différence entre ce qu’on voit dans les sondages et ce que montrent les statistiques est troublante. Il y a un changement dans les esprits, mais pas encore dans les assiettes. »
Autant vous dire que ce co-marrainage avec la Présidente du Conseil National de l’Alimentation est donc très précieux.
Enfin, notre boussole doit être de permettre aux éleveurs de bénéficier d’un revenu digne, grâce à des prix rémunérateurs et de rendre la transition agroécologique désirable voire avantageuse. Cela veut dire, lutter contre les accords de libre échange, pour les prix plancher, pour des subventions publiques qui doivent impérativement, à notre sens, être conditionnées à ces bonnes pratiques.
Tous ces sujets, nous sommes exactement au bon endroit pour en parler. Dans quelques mois, nous aurons la possibilité d’amender, de débattre, peut être même d’adopter une Loi d’orientation et d’avenir agricoles qui pourrait être déterminante face à ces défis. Je remercie encore FNH et le CIWF pour ce colloque et nous prendrons bonne note de tout ce qui se dira aujourd’hui.
J’en finis là, et vous signale que pour ma part, je vais malheureusement devoir m’absenter pour étudier le rapport final de la Commission d’enquête sur les causes de l’incapacité de la France à réduire les pesticides, qui se déroule à huis clos ce matin. Cette date est tombée après l’organisation du colloque. Je vous prie de bien vouloir m’excuser pour cela, ma collaboratrice Violette suivra bien évidemment la suite de vos échanges.
Sur ces mots, je vous souhaite à toutes et tous une très belle matinée d’échanges, et que vive l’élevage durable et pastoral !
Marie Pochon