Récit de notre délégation parlementaire dans le Nord-Est Syrien !

Published by Marie Pochon on

Du 30 mars au 3 avril, j’étais dans le Nord-Est Syrien. Pour la première fois depuis la libération, une délégation parlementaire se rendait à Raqqa. Je m’y suis rendue avec le sénateur de Paris Pierre Laurent et la sénatrice du Val-de-Marne Laurence Cohen. Ceux-là avaient initié une tribune transpartisane, signée par 102 parlementaires en juillet, pour dénoncer les agissements criminels d’Erdoğan.

Nous avons été accueilli-es par l’Administration autonome du Nord et de l’Est de la Syrie (AANES), une administration pluraliste, paritaire, décentralisée, née des cendres de la guerre civile, de l’abandon du régime, des combats féroces face à Daesh.

Mille mercis ne suffiraient pas pour l’accueil, la sécurité, la convivialité qu’ils et elles nous ont accordé. Mille mercis ne suffiraient pas pour dire la reconnaissance que nous leur devons, pour leur courage face à la barbarie, et les espoirs qu’ils animent dans la région.

Pendant 4 jours, nous avons rencontré une foule d’acteurs engagés et inspirants, des dirigeant-es de l’AANES aux associations comme Kongra Star, en passant par les structures d’accueil des réfugié-es, les forces démocratiques, les partis politiques…

Ce qu’il se joue au Rojava, autour de la parité, de la décentralisation, de l’écologie, du pluralisme c’est la fabrique de quelque chose que l’on peut appeler l’éclosion d’un modèle démocratique au milieu d’un champ de ruines. Aider les communautés vivant au Nord-Est Syrien dans la bataille contre la barbarie de Daesh, c’est aider l’humanité toute entière. Il resterait plus de 12 000 combattants dans le pays, qui prospèrent dans des cellules dormantes. C’est un danger immédiat pour celles et ceux qui y font face, avec une bravoure sans égal, malgré le manque de moyens. La-bas, on n’arrive plus à sécuriser les prisons, à investir dans des écoles de réhabilitation pour les enfants de djihadistes, à contrôler les camps. C’est un danger pour notre humanité toute entière ensuite. Parce qu’on sait la violence et la barbarie que Daesh représente comme négation de notre destin commun. À Raqqa, où nous sommes allé-es, ce sont 95% des infrastructures qui ont été détruites.

De même, la guerre de l’eau qui s’y joue, entre impacts déjà perceptibles des changements climatiques et illégalité de la politique de rétention des eaux venant de Turquie, est le prémisse de conflits qui pourraient bouleverser notre monde.

Avec Pierre Laurent et Laurence Cohen, nous revenons avec de nombreux constats :

  • Les communautés vivant au Rojava font face à une double menace permanente, entre les frappes et les menaces turques, et les cellules dormantes de Daesh. 300 000 personnes vivent aujourd’hui dans des camps de déplacés, suite à l’occupation illégale de territoires transfrontaliers par la Turquie. À Affrin, les Kurdes qui représentaient 95% de la population ne sont plus que 20 ou 25% aujourd’hui. La Turquie fait vivre un régime de terreur à sa frontière syrienne, entre un mur immense, surveillé et militarisé, l’usage de drônes, des frappes aériennes ciblées, l’ingérence et une menace permanente d’invasion militaire terrestre. L’AANES tente d’administrer comme ils le peuvent une poudrière, avec des milliers de combattants de Daesh encore présents dans des cellules dormantes. Au cimetière de Qamishlo, nous avons rencontré avec émotion les familles des martyrs morts au combat face à Daesh. L’an dernier 121 djihadistes se sont enfuis suite à une rébellion de la prison d’Hassake. Les familles des combattants de Daesh sont pour leur part entassées dans des camps, comme celui d’Al Hol où cohabitent 73 nationalités différentes.
  • La Turquie viole le droit international en matière de partage des eaux. En occupant les stations de captage, en restreignant drastiquement le débit de l’Euphrate, au mépris du droit international. Des 500 m3/s qu’elle devrait laisser à la Syrie, elle n’en verse que 200m3/s. Cela accroît les risques de maladies transmissibles par des eaux en faible qualité et non traitées, en plus de mettre en péril la production agricole, quand 80% des habitant-es de la zone vivent de l’agriculture.
  • L’AANES fait des miracles dans un environnement ravagé. À la libération, « tous les observateurs disaient qu’il serait impossible de reconstruire Raqqa« . Plus de 100 écoles ont été détruites. Pour 1 million d’habitant-es, il ne subsiste qu’un seul hôpital.

Tous les acteurs sur place nous ont dit leur reconnaissance pour le rôle joué par la France dans la guerre face à Daesh. Tous nous ont aussi dit que l’urgence était à un renforcement d’urgence de cet appui, maintenant.

  • Il faut tout reconstruire. Système de santé, écoles, infrastructures; résilience agricole, aide aux déplacé-es, lutte et adaptation face aux changements climatiques. L’AANES fait des merveilles comme elle le peut. Elle doit être appuyée.
  • Nous devons renforcer le soutien aux FDS, qui consacrent 80% de leurs efforts à la sécurisation des camps et prisons, et tiennent entre les mains le destin de l’organisation terroriste la plus dangereuse au monde. La France doit soutenir, avec la communauté internationale, leurs services de renseignements, la lutte contre les drones, les écoles de réhabilitation pour les enfants de djihadistes, et la mise en place d’un tribunal international pour juger des crimes de Daesh.
  • La France doit exprimer avec fermeté une demande de fin immédiate des frappes turques dans la région, et le retrait immédiat de la Turquie des territoires occupés. Elle doit agir pour la protection des déplacé-es aux côtés de l’UNHCR et leur retour chez eux.
  • Nous demandons également la mise en place d’une commission d’enquête sur les crimes de guerre commis par la Turquie dans ces territoires. Viols, exactions, attaques ciblées, conversions forcées : les récits sont ignobles et doivent être investigués.
  • La France doit aussi porter avec force la condamnation de la violation par la Turquie du droit international en matière de partage des eaux. Nous travaillerons en ce sens avec la plus grande détermination !

Bref. Les défis sont immenses et concernent le monde entier. Tandis qu’Ankara, Damas et Téhéran déterminent le sort du Rojava, c’est la protection et le soutien que nous devons à nos allié-es, et la sûreté de la région voire du monde qui sont en jeu.

Il faut aller plus loin que la « sympathie » et l' »inquiétude » exprimées jusqu’ici par la communauté internationale. Le soutien et la reconnaissance pleine et entière de l’AANES comme partenaire et allié est essentiel et urgent.

Dans cette délégation, nous étions trois. Mais nous étions sur place au nom de 6 personnes, Rémi Féraud, Sarah Tanzilli et Rémi Féraud qui n’ont finalement pas pu se joindre à nous. La suite se construira avec tou-tes les parlementaires, toutes les communes françaises qui voudront se joindre à nous pour porter cette cause si noble et si essentielle. Rejoignez-nous. Il y a urgence !

Vous pouvez revoir notre conférence de presse de retour du Rojava ici.


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