Séance extraordinaire de l’Assemblée nationale à la Fête de l’Humanité

Published by Clothilde Baudouin on

Mesdames, Messieurs, 

Quelle liberté conserve-t-on dans un monde fragile ? 

C’est une question de José Ardillo. 

L’urgence climatique ne fait plus aucun doute. Elle touche toujours plus durement la France, comme le reste du monde, illustrant les derniers rapports du GIEC, qui a appelé à des mesures immédiates et radicales pour « garantir un avenir vivable ».

Le changement climatique et l’effondrement de la biodiversité bouleversent le monde tel que nous le connaissions. 

Impactant nos droits et nos libertés fondamentales.  

  • Ici les zoonoses se multiplient, multipliant le risque que, dans cette salle, nous vivions de notre vivant bien plus qu’une pandémie liée à la destruction du vivant. 
  • Là, les fortes chaleurs nous forcent à nous barricader l’été, à engager des sommes que nous n’avons souvent pas pour la rénovation de nos écoles et de nos hôpitaux où nous étouffons. 
  • Ici, plus de 11 000 personnes sont mortes prématurément du fait des canicules de cet été, le plus chaud jamais enregistré en Europe.
  • Là, France Assureurs estime à près de 4 milliards d’euros le coût du million de sinistres liés aux intempéries entre mai et juillet.
  • Ici, les plus jeunes d’entre nous sont convaincus, légitimement, que la fin du monde adviendra avant la fin de leur vie. Certains refusent désormais de faire des enfants dans un monde dont l’avenir, selon le GIEC, ne peut plus être qualifié à 100% de « vivable ».

Vous le savez peut-être, cher-es collègues, mais nous avons dépassé 6 des 9 limites planétaires, ces systèmes qui régulent la stabilité et la résilience du système terrestre ; ces interactions de la terre, de l’océan, de l’atmosphère et de la vie, qui, ensemble, fournissent les conditions mêmes de l’existence de nos sociétés. 

Vous l’avez peut être lue enfin, cette étude publiée il y a quelques jours dans la revue Science, qui identifie les seuils de rupture qui pourraient entraîner un emballement mondial ou régional. Les scientifiques nous le disent : nous sommes en train d’atteindre des points de non-retour en matière écologique. 

1,1°C de réchauffement mondial. 

Et ce que nous sommes en train de faire est, pour partie déjà, irréversible. La planète brûle, et nous ne la regardons pas, non, nous brûlons avec.

L’urgence climatique et écologique nous impose des changements rapides et profonds de notre modèle de civilisation.

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Dès 1972, une entreprise fossile comme Total connaissait les conséquences de ses activités. Elle génère désormais 16 mds d’Euros de profits par an, et émet autant de GES que la France ; Elle n’est toujours pas tenue de respecter l’Accord de Paris sur le climat, ni n’est tenue de quelconques obligations dans le respect et la protection du vivant.

En 1990, année de ma naissance, était publié le premier rapport du GIEC. Il y établissait que « les émissions dues aux activités humaines accroissent sensiblement la concentration dans l’atmosphère des gaz à effet de serre»Notre République a failli à sa mission première, de protection des intérêts supérieurs de la Nation. Nous mourrons de la pollution de l’air, des maladies chroniques, des canicules et des inondations. Nos maisons se fissurent, nous ne pouvons plus travailler en extérieur l’été. Nos services d’urgence sont débordés, nos sapeurs-pompiers plus assez nombreux pour faire face aux méga feux.

Depuis 1990, nous sommes passés de 345 à 415 ppm.

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Pourquoi sommes-nous si impuissants face à la pleine possibilité de la remise en cause de l’habitabilité de la terre ?

Je crois, nous croyons, qu’il y a là dans la manière dont nous prenons des décisions pour notre pays, des failles immenses. Nous nous alarmons de la question environnementale sans jamais que cette question soit assez forte ni assez puissante pour qu’elle devienne prioritaire, pour que cette valeur soit considérée comme supérieure à d’autres. Ces autres intérêts, qui lui font ombrage, sont souvent mieux armés, plus fortunés, pour se faire valoir dans les couloirs des ministères et des assemblées que ceux des écosystèmes qui nous font vivre, que les forêts, que les glaciers, que les mers, que les fleuves et les montagnes. 

Ces autres intérêts, ce sont ceux de la croissance infinie, du profit et de l’accumulation. Ceux de l’  « abondance », ceux d’un imaginaire où la valeur va à ce qui produit de la valeur, et non pas ce qui en a intrinsèquement. Ainsi, on peut avoir un accident de la route, et « créer de la valeur », tomber malade et « créer de la valeur », détruire le vivant et, encore et toujours, « créer de la valeur ». 

  • La croissance minimise la portée des inégalités en laissant croire à l’abondance infinie, qui par le ruissellement, finirait dans les poches des moins bien lotis. Or l’abondance n’existe pas, et tout ce que nous prenons au vivant, nous le retirons du bien commun. 
  • La croissance relativise les conséquences (ou externalités) négatives de la production, qui seraient finalement un moindre mal à un bien qui serait supérieur. 

Il faut voir les éclats de rire de joueurs du PSG à l’évocation d’un trajet en train: les minutes gagnées de certains vaudraient plus que les longues heures qu’ils nous feront perdre dans la bataille écologiste. 

  • Enfin, parce qu’elle fait croire que tout se vaut, et que tout est marchandise somme toute équivalente, la croissance nous mène droit au mur. 

Placer la croissance, la liberté d’entreprendre, le droit de commercer avant la nécessité de respecter les limites planétaires détruit les conditions même dans lesquels ces libertés s’exercent. Cela nous détruit, détruits nos libertés et nos droits, et avant tout ceux des plus vulnérables. L’inaction climatique est criminelle.

L’Affaire du Siècle l’a montré : le droit français actuel est inadapté à la destruction du vivant et à l’urgence climatique. L’Etat Français ne respecte pas les objectifs qu’il s’est lui-même fixés, et a été condamné par deux fois ces dernières années par la justice. Et puisque des victimes, il y en a des millions ; ce que je vous propose, c’est de poser des responsabilités, et des obligations. 

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C’est le rôle du droit, que d’établir les règles qui régissent notre vie en société. C’est le rôle des député-es que de représenter la Nation toute entière, et le peuple français. Présent, et à venir.   

Nous devons rendre contraignants les objectifs de l’Accord de Paris, et faire primer l’humain et le vivant sur les intérêts économiques. 

Je vous propose, messieurs dames, cher-es collègues, d’inscrire l’obligation d’action pour le climat et le respect des limites planétaires à l’article 1er de la constitution Française. 

Parce que nos droits fondamentaux dépendent de l’air que l’on respire, de l’eau que l’on boit, de ce qui pousse sur nos sols, de la température dans laquelle nous nous mouvons ; 

Parce que nous sommes conscient-es qu’à 45°C, c’est nos libertés, et nos droits à la santé, au mouvement, au travail, parfois même à la vie qui sont menacés ;

Parce qu’il est de l’obligation de la République Française que de protéger et garantir les droits fondamentaux de ses citoyens ; 

Je vous propose, cher-es collègues, de passer du contrat social au contrat naturel, de faire entrer notre constitution dans le XXIe siècle en y intégrant, à l’article 1er, c’est-à-dire tout en haut de la pyramide des normes, l’impérieuse nécessité et l’impérieuse volonté du peuple français et de ce qu’il sera dans les générations à venir, de vivre en harmonie avec le vivant.

Cette proposition, effectuée en juin 2020 par la Convention citoyenne pour le climat, avait aussi été avancée par le Conseil d’Etat dans son avis sur le projet de réforme constitutionnelle de juin 2019 déposé par le Gouvernement. En effet, il y avait indiqué que « si l’article 1er de la Constitution n’a pas, en principe, vocation à accueillir l’énoncé de politiques publiques, (…) le caractère prioritaire de la cause environnementale, s’agissant d’un des enjeux les plus fondamentaux auxquels l’humanité est confrontée, justifie qu’elle prenne place à cet article aux côtés des principes fondateurs de la République ».

Mais, ne nous méprenons pas. Cette inscription ne sera pas indolore, et pas seulement symbolique. Ç’en est même l’objectif. 

  • Oui, inscrire le respect des limites planétaires et l’obligation d’action pour le climat nous permettra de prioriser les intérêts premiers du vivant vis-à-vis des principes de liberté d’entreprendre et du droit à la propriété privée, assurés par l’article 17 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Très concrètement, nous imposerons ainsi aux pouvoirs publics une quasi-obligation de résultat en matière environnementale. 
  • Que ce soit a priori ou a posteriori, les lois dont les effets accroitront les concentrations de gaz à effet de serre, ou détruiront plus encore la biodiversité, seront jugées contraires au principe des limites planétaires. Par exemple, une loi favorisant les investissements dans les énergies fossiles se verra sanctionnée par le Conseil constitutionnel.
  • Pour de nombreux citoyens et citoyennes, ce nouvel article 1er sera le pilier sur lequel pourra se bâtir l’arbitrage face à des grands projets inutiles et polluants ou certains projets de loi climaticides.
  • Bien évidemment, le Conseil Constitutionnel devra arbitrer, et concilier, entre les différents principes, droits et normes fondamentaux. Cependant son analyse sera plus approfondie, prudente et pertinente pour favoriser l’adoption de lois plus respectueuses des limites planétaires. 

Cher-es collègues, je sais votre attachement à la protection des droits fondamentaux. Ce que je vous propose ici, c’est de renforcer le cadre juridique qui conditionne la pleine application des droits, pour toutes et tous, et notamment les plus vulnérables.

C’est une première étape vers la nécessaire bascule de nos échelles de valeurs, voire de la hiérarchie des normes qui nous mène à l’abîme. Ainsi, en protégeant et en garantissant l’action pour le vivant, nous serons à même de répondre à la question de José Ardillo. Quelle liberté conserve-t-on dans un monde fragile ? 

Celle de déterminer notre avenir. 

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