Ma déclaration sur la motion de rejet préalable de la loi d’orientation agricole

Published by Marie Pochon on

Madame la Présidente,

Monsieur le Ministre,

Chers collègues,

On ne peut pas raconter des craques aux agriculteurs, il faut arrêter” disait Emmanuel Macron en préambule du Salon de l’agriculture, en pleine mobilisation agricole. 

Et c’est vrai. Il faut arrêter de raconter des craques aux agriculteurs, et à quiconque d’ailleurs, c’est une sale habitude prise par nombre de nos dirigeants ces 7 dernières années, et sans nul doute avant aussi. 

Pourtant nous voilà face à la fameuse Loi d’Avenir et d’Orientation agricole, qui devait fixer un cap, qui devait répondre aux mobilisations. Une loi d’avenir pour notre agriculture, dont la préparation avait été rythmée par des concertations en grande pompe avec les acteurs du monde agricole, les associations, les élus, pour répondre au plus grand plan social que notre pays a connu ces 50 dernières années, aux suicides tous les deux jours, aux rendements en berne, aux ventes à perte, à la désertification de nos villages, à l’effondrement du vivant.  

Et nous voilà, à peine deux mois plus tard, à nous rendre compte – mais qui est surpris, au fond – que vous, le Président de la République et ses fidèles nous avez encore raconté des craques. Que vous ne fixez aucune orientation pour l’agriculture, et qu’il faudra attendre pour ça que le Président y réfléchisse, d’ici un an a t-il dit la semaine passée, c’est bien ça Monsieur le Ministre ?

Qu’après les craques sur les vertus des accords de libre échange, les craques sur les prix planchers, les craques sur l’application d’Egalim, les craques sur “le mandat sera écologique ou ne sera pas”, hop, pourquoi pas attendre que chaque paysan de ce pays soit occupé au travail de l’exploitation, pour “faire semblant” de faire quelque chose; l’agriculture, après tout, c’est une priorité nationale que quand on peut prendre la pose sur un botte de paille, c’est vite oublié et ces salades occuperont bien les députés. 

D’orientation et d’avenir, de toute manière, cette loi, elle en a perdu le nom, et le fond. 

D’installation, elle n’en souhaite pas, puisqu’elle ne fixe aucun objectif, ne se dote d’aucune ambition et d’aucun moyen pour la faire appliquer, comme ça c’est sûr, on prend aucun risque que ça ne serve à quoique ce soit. 

De transition, elle n’en aime que l’idée abstraite, quand elle se résume à quelques adjectifs peu contraignants ajoutés ci et là. Elle n’en aime que les jolis mots, puisqu’elle décide, sciemment, de nier les réalités scientifiques que sont l’effondrement des espèces, les limites planétaires et les impacts dévastateurs des changements climatiques. Et à ce moment-là de notre histoire, c’est un choix politique criminel. Elle déploie beaucoup plus d’énergie, cette loi, à poursuivre le détricotage entamé du droit de l’environnement plutôt que d’enclencher enfin la transition massive vers l’agriculture biologique, qui n’était même pas mentionnée dans le projet de loi initial.

Pour le reste, ça va aller vite :

  • Je pourrais citer l’impréparation totale, des réécritures générales d’articles entiers annoncées en commission à la publication de décrets la veille du débat
  • Je pourrais citer vos formules pompeuses qui ne veulent strictement rien dire en droit.
    • Vous créez un « intérêt général majeur » qui n’a aucune valeur en droit ; 
    • Vous renommez un diplôme déjà existant en « Bachelor agro », c’est pas mal non, c’est Français ?
    • A l’article 13 bis, vous nous sortez du chapeau « une présomption de bonne foi » de l’exploitant agricole en cas de contrôle qui sauve nos agriculteurs d’une nouvelle menace imaginaire, celle de “la présomption de mauvaise foi”. De qui se moque t-on.
  • Je pourrais citer l’absence scandaleuse de toute mesure sur le foncier, afin d’empêcher les parlementaires de pouvoir amender et adopter des propositions ambitieuses pour protéger nos terres agricoles de la spéculation et de l’accaparement par les puissances financières. Le sujet du foncier est pourtant au cœur du problème et votre seule proposition du texte a été la provocation honteuse de l’article 12, heureusement supprimée en commission par l’ensemble des groupes après les alertes nombreuses des syndicats, des associations, de la FNSAFER.
  • Enfin, il n’y figure rien non plus, sur le revenu, sur la capacité des agriculteurs à pouvoir fixer leurs propres prix pour ce qu’ils produisent et vendent, et sur leur capacité à pouvoir vivre de leur travail dignement. L’intérêt général majeur des agriculteurs, chers collègues, Monsieur le Ministre, il est là

Nous vous proposons donc, par cette motion de rejet préalable, de couper court aux sornettes, aux balivernes et autres carabistouilles, et de demander au Gouvernement de revoir sa copie, de revenir devant l’Assemblée avec un texte à la hauteur. 

J’aurais tellement aimé que vous nous proposiez un texte ambitieux, qui ne nous oblige pas à déposer cette motion de rejet. 

Comme beaucoup ici, et sur tous les bancs de cette assemblée, je suis très attachée au monde agricole. J’y ai grandi, on m’a éduquée au rythme des bonnes et des mauvaises saisons, des vendanges, et de leurs saisonniers, des regards inquiets sur le bulletin météo lors des gels tardifs, au bruit des canons à grêle installés partout dans la vallée. J’y suis également attachée comme écologiste, et suis effarée d’entendre dans vos discours revenir la démagogie anti-écolo dès qu’il s’agit de faire la course au clan Le Pen. L’agriculture, notre souveraineté alimentaire, la vie dans nos villages, elles valent bien mieux que ça; que d’être instrumentalisées dans vos piètres stratégies électorales, qui fonctionnent par ailleurs, spoiler : pas du tout. 

Alors voilà, deux ans que je suis élue, deux ans d’attente de ce projet de loi, deux ans de crises et de colères accumulées pour les agriculteurs, deux ans où vous avez persisté dans l’erreur et l’échec. Deux ans. Mais je pourrais dire 10 ans. 20 ans. 

Car cela fait 20 ans que les agriculteurs et la société subissent vos échecs.

L’échec. 

Le modèle agricole productiviste que vous tentez coûte que coûte de maintenir en vie est à bout de souffle. 

  • Sur le revenu, le bilan est si mauvais que vous venez d’affronter l’une des plus importantes mobilisations sociales agricoles des dernières décennies et que vous vous apprêtez à sortir EGALIM4, la 4e loi sur le sujet en 7 ans de mandat
  • Sur l’environnement : votre bilan est catastrophique, l’agriculture est désormais le 2e secteur émetteur de GES, les modes de production intensifiés, spécialisés, chimiques que vous avez promus ont provoqué un tel recul de la biodiversité, une telle  pollution des ressources et milieux naturels qu’ils menacent notre capacité à continuer de produire. 
  • Sur le renouvellement des générations, sujet de cette loi : on peut difficilement faire pire puisque 100 000 exploitations ont été perdues ces 10 dernières années et un exploitant sur trois partant à la retraite n’est pas remplacé. C’est un gigantesque plan social qui se joue dans nos campagnes. Ce sont des milliers de familles démunies, d’agriculteurs endettés, des jeunes qui renoncent à reprendre la ferme familiale. Et ce n’est pas seulement l’agriculture qui meurt mais des communautés entières qui se retrouvent fragilisées, ce sont les usines, les commerces qui préfèrent aller voir ailleurs, les classes qui ferment, ce sont nos villages qui se vident, c’est le lien social qui s’étiole. 

Votre échec, c’est aussi l’aggravation des inégalités entre les mondes agricoles. Car il n’y a aujourd’hui rien de commun entre les grands céréaliers exportateurs habitués des plateaux TV et des réunions ministérielles et les petits éleveurs ovins pastoraux qui nourrissent nos territoires et entretiennent nos paysages : 

  • Les gros, à qui vous parlez, captent la majorité des aides publiques pendant que les petits se partagent les miettes
  • Les gros contrôlent en parallèle les coopératives, les industries pendant que les petits sont écrasés sous leur poids
  • Les gros réclament de raser les haies et de réautoriser des pesticides, pendant que les petits revendiquent des prix rémunérateurs et la fin de la concurrence déloyale. 

Sans parler de la grande distribution, des industriels des phytos aux mains tantôt des Chinois, des américains ou des Russes ; des agro-industriels qui peu à peu s’enfuient chercher de meilleurs marchés ailleurs grâce à vos accords de libre échange.

Entre les uns et les autres, il faut faire un choix. 

Et comme toujours, avec votre idéologie ultra-libérale : voici le vôtre : enrichir la minorité au détriment de la majorité. 

Devant l’accumulation de tous ces échecs, n’importe qui changerait d’orientation pour ne pas continuer à envoyer nos agriculteurs dans le mur. Mais pour vous, assumer ces échecs : quelle idée ! Surtout si on peut y perdre des voix ! 

Non, vous n’assumez rien

Heureusement, à l’opposé de votre inertie, de votre peur du changement, de votre manque de courage, les françaises et les français agissent, ils font par eux mêmes, ils se débrouillent sans plus attendre l’appui des politiques publiques davantage pensées pour servir quelques capitaines d’industrie.

Dans la Drôme d’où je viens, on sait ce que l’on doit à l’agriculture. Vignobles, abricotiers, lavande, élevages pastoraux, chênes truffiers, noyers, oliveraies : c’est là que nous puisons notre force, la beauté époustouflante de nos paysages, la résilience de notre territoire. 

Chez moi, près de 30% de la SAU est en bio. L’élevage ovin et caprin est pâturant. On y défend des IGP, des AOP, de grande qualité. On y bâtit la Biovallée, la première Commission Locale de l’Eau en France, des foncières comme Terre de Liens, des épiceries coopératives… On crée, on innove, pendant que vous subissez la décroissance que vous prétendez combattre : au contraire, ici, les jeunes qui cherchent à s’installer se bousculent. C’est comme ça qu’on permet à tant d’enfants drômois d’avoir des repas sains, bio et locaux à la cantine, et qu’on vit avec fierté, le métier d’agriculteur. Je tiens aujourd’hui à leur rendre hommage, à toutes celles et ceux qui ont bâti, et œuvrent à bâtir au quotidien, chacun à sa place, cette fierté. 

Je tiens à rendre hommage à ce secteur agricole qui fourmille d’innovations, d’initiatives collectives, de coopération. 

Aux CIVAM, à ces 130 groupes d’agriculteurs partout sur le territoire qui réfléchissent à comment adopter des pratiques pour être plus économes et autonomes, comment relocaliser l’alimentation, comment faire vivre les liens entre agriculteurs et citoyens au bénéfice des territoires

Aux CUMA, aux organisations de défense des paysans, aux organisations syndicales agricoles, aux associations de consommateurs, de protection de l’environnement, de défense du bien-être animal, qui dialoguent et proposent des solutions communes et concertées pour répondre aux grands défis agricoles. 

Ces initiatives, elles donnent de l’espoir, de la fierté, elles font revivre ces territoires à l’agonie que vos politiques ont détruit. Pourtant, ces mêmes initiatives, vous les marginalisez, vous les pénalisez, voire vous les criminalisez. Elles n’ont jamais droit aux faveurs des soutiens publics alors que leurs actions ont des bénéfices si grands pour l’ensemble de la société. 

C’est par la coopération que tout se passe, Monsieur le Ministre : pas par la guerre commerciale et la compétitivité. Le monde agricole le sait depuis toujours. Nous le voyons si bien aujourd’hui en Europe. 

C’est là sans doute notre plus grand désaccord : 

  • Pour vous, la vocation de l’agriculture est de “renforcer la création de richesse et la compétitivité de l’économie française” – c’est dans l’article premier de votre projet de loi. 

Pour les écologistes, l’agriculture doit permettre de fournir une alimentation saine et durable à nos concitoyens.

  • Pour vous, la boussole c’est la balance commerciale, c’est ce qui vous fera préférer arrêter de produire du poulet chez nous pour en importer massivement d’Ukraine ou d’Amérique du Sud, selon qui sera le plus compétitif, pour nous concentrer sur quelques productions nous permettant à notre tour d’exporter. C’est ce que vous osez appeler la souveraineté alimentaire. 

Pour les écologistes, la boussole ce sont des productions diversifiées, adaptées aux besoins des territoires, produites de façon écologique et fournissant un revenu digne aux producteurs. C’est aussi le respect de la souveraineté des autres pays plutôt que de sponsoriser des agroindustriels pour qu’ils inondent des marchés du sud, affament les paysans locaux et les conduisent à l’exil. 

  • Pour vous, la tactique politique pousse à vanter la diversité des modèles en niant les faits scientifiques, qui nous prouvent pourtant qu’un modèle, l’agroindustrie, est destructeur, inadapté, et nous coûte un pognon dingue et en aides publiques et en dépollution, quand un autre, l’agroécologie, sert l’intérêt général.

Pour les écologistes, la priorité est d’assumer qu’un modèle est vertueux et résilient et d’accompagner TOUS les agriculteurs vers celui-ci afin de maintenir notre modèle d’agriculture familiale et pastorale.

Vous êtes flous, nous sommes clairs et cohérents. Là où vous multipliez les échecs, certains responsables agricoles, associatifs, politiques dessinent, partout où ils sont en responsabilités, un chemin soutenable et désirable.

  • Quand vous échouez à atteindre tous les objectifs d’EGAlim dont celui de 20 % de bio dans les cantines en atteignant péniblement les 6 %, toutes les villes écologistes surpassent largement les objectifs. En quelques années, nous sommes déjà à +50 % de bio dans de grandes villes comme Lyon, Montpellier ou Bordeaux mais aussi dans des plus petites comme Bègles, à 71%, et Mouans-Sartoux, à 100%. 
  • Quand vous vous battez pour une PAC inégalitaire qui distribue 80 % des aides européennes à 20 % des fermes, les écologistes se battent pour des aides à l’actif qui favorisent l’installation
  • Quand vous laissez la filière bio dépérir en refusant de modifier l’éco-régime de la PAC, les écologistes soutiennent partout les producteurs bio et mettent en place des innovations comme à Strasbourg où les ordonnances vertes permettent aux femmes enceintes de profiter de produits sains et aux maraîchers bios d’augmenter leurs débouchés pour leurs productions
  • Quand vous artificialisez les terres agricoles et faites disparaître des fermes, le Grand Lyon protège 10 000 ha, Nantes Métropole en protège 14 000
  • Quand vous signez tous les Accords de Libre Échange qui passent, nourrissant la concurrence déloyale pour nos agriculteurs, et importez les fermes-usines en France, nous défendons l’élevage paysan, le moins mais mieux qui permet la survie de nos modèles herbagers et pâturants
  • Quand votre politique précarise, fait exploser les files des caisses alimentaires, les écologistes expérimentent à Grenoble, à Bordeaux, à Dieulefit, la sécurité sociale de l’alimentation
  • Quand vous vous satisfaites des ventes à perte, que vous videz la DGCCRF de ses moyens d’action, nous faisons adopter, contre vous, avec tous nos collègues ici réunis, la garantie de prix rémunérateurs pour les agriculteurs 

Assurer la sécurité des agriculteurs, c’est protéger leurs métiers, leur santé, c’est assurer qu’en regardant leurs enfants, ils puissent avoir envie de transmettre l’histoire d’une vie que représente souvent une ferme parce qu’ils savent qu’ils leur légueront des métiers rémunérateurs, où ils peuvent s’épanouir, expérimenter, s’inscrire dans des écosystèmes vivants, produire une alimentation saine et de qualité, en être fiers. 

Cette profonde crise de notre modèle agricole, elle n’est pas inéluctable. Elle résulte de choix politiques, que vous faites. 

Non, il n’y aura pas plus d’installations avec cette loi, et vous le savez très bien. 

On ne saura d’ailleurs pas si cette loi est efficace en la matière. Vous avez même refusé de demander des bilans annuels des politiques d’installation mises en place par les chambres.

Vous ne le souhaitez pas, en fait. 

Ce plan social, ces milliers de familles démunies, d’agriculteurs endettés, ces jeunes qui renoncent à reprendre la ferme familiale, c’est un choix politique, que vous faites. 

Que vous n’assumez pas, parce que vous savez cela impopulaire, mais vous le faites.

Si Emmanuel Macron a raison de dire qu’il faut arrêter de raconter des craques aux agriculteurs, il ferait bien de se l’appliquer. Il faut arrêter les mots inutiles, les lois indigentes, les fausses promesses, les contre sens, la mal-adaptation, les mensonges.

Chers collègues, ce sont les lois Pisani qui ont orchestré la modernisation de l’agriculture dans les années 60. Avant qu’Edgar Pisani lui-même reconnaisse et regrette plusieurs décennies plus tard les conséquences de l’industrialisation qui menaçait l’agriculture. 

Comme quoi reconnaître des faits, assumer des erreurs c’est possible. 

Utiliser la loi pour donner de nouvelles orientations c’est possible, et c’est même la moindre des choses.

Alors que la moitié des terres agricoles vont changer de main dans les prochaines années, nous avons le pouvoir, et donc le devoir, de changer de cap. Votons cette motion de rejet. 


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